L’édition 2017 sera marquée par le conflit entre l’Ukraine et la Russie, avec les conséquences politiques que l’on connaît. En 61 ans d’existence, l’Eurovision en a vu pourtant bien d’autres…
L’Union Européenne de Radiotélévision (UER) a beau le répéter dans tous les langues du continent, le Concours Eurovision est – et doit rester – apolitique. Pourtant, on ne peut pas dire que les organisateurs de cette 62e édition de la compétition, l’épargnent.
L’Ukraine (qui reçoit) et la Russie (qui est invitée) s’envoient des «skuds» diplomatiques qui donnent déjà le ton pour la semaine de l’Eurovision, qui débutera pile dans un mois. Si 2017 risque de rester dans les annales, à des degrés divers, la politique s’est plusieurs fois invitée, même sur scène.
2016 : l’Ukraine
Si on en est là aujourd’hui, c’est à cause (ou grâce) à l’Ukraine. Pour son retour à la compétition, après un an d’absence, parce que son voisin russe avait violé son intégrité territoriale en Crimée, la télévision publique veut marquer le coup et envoie une chanteuse née en Crimée (Jamala) qui chante dans un patois qu’on ne parle qu’en Crimée (le tatare) et qui raconte une sombre période de l’histoire de la Crimée (la déportation organisée par Staline en 1944).
Malgré une réclamation de la Russie, l’UER ne voit rien dans le texte qui pose problème. Bardaf’, c’est l’embardée : l’Ukraine remporte le Grand-Prix 2016, au nez et à la barbe du chanteur russe. La suite, on la connaît…
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2005 : le Liban
Même pour les plus assidus de l’Eurovision, une participation libanaise ne rappelle rien à personne ! Et pour cause, elle a été annulée avant même que le show ne commence. Cette année-là, le Liban faisait partie des nouveaux pays à se joindre à la fête. Une chanson a été sélectionnée, et elle était même interprétée en français, une des langues officielles du pays.
Malheureusement pour la candidate, Aline Lahoud (et son titre «Quand tout s’enfuit»), une règle interdit à la télévision libanaise de montrer un ressortissant israélien sur son antenne. Le passage de la chanson d’Israël devait donc être sucré. Impensable pour une compétition équitable. Le Liban se retire…
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Pour la petite histoire, Aline Lahoud participera, en 2014, à «The Voice – la plus belle voix» sur TF1, et se retrouve dans l’équipe de Florent Pagny jusqu’à son élimination dans les «Battles».
1980 : le Maroc
Les moins jeunes d’entre nous se souviennent que le Maroc a participé une fois au Concours Eurovision de la Chanson. C’était à La Haye (Pays-Bas), en 1980. Malgré sa victoire, un an auparavant, Israël fait l’impasse. Officiellement pour des raisons d’agenda, officieusement pour le coût d’une deuxième organisation consécutive, le pays ayant gagné en 1978 et 1979.
Le Maroc profite de l’occasion pour envoyer Samira Bensaïd avec le titre en arabe, «Bitakat Hop» («Les Enfants de l’amitié»). Le royaume africain ne reviendra plus jamais.
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Un an plus tôt, c’est la Turquie qui ne s’est pas rendue à Jérusalem, pour la même raison : les relations tendues entre arabes et juifs en Israël.
2009 : la Géorgie
En 2009, c’est Moscou qui reçoit tout le gratin de la culture pop européenne. Cette année-là, c’est avec son voisin géorgien que la Russie a un oignon à peler, cette fois concernant l’Ossétie. Un scénario qui ressemble fort à ce qui se passe en Crimée aujourd’hui.
La Géorgie se présente au Concours Eurovision de la Chanson avec un titre assez tendancieux «We Don’t Wanna Put In». La prononciation anglaise rappellant le nom du Président russe, plainte est déposée. L’UER donne raison à la Russie. Le groupe géorgien 3G ne se rendra pas à Moscou…
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En 2012, c’est l’Arménie qui ne fera pas le voyage jusque Bakou. Un vieux différend territorial sur le Haut-Karabagh, entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, faisait craindre pour la sécurité des concurrents arméniens sur place.
2000 : la Palestine
Présent depuis 1973, Israël a toujours fait fi du conflit avec la Palestine qui pourrit les relations de deux communautés sur son territoire. Mais en 2000, le groupe Ping Pong crée la surprise, à la fin de sa prestation où une partie du groupe scandait des drapeaux israéliens, d’autres de la Palestine. Si la chanson «Be Happy» n’a pas laissé des souvenirs impérissables (la chanteuse ayant des gros problèmes de justesse), l’image aura marqué les esprits à Stockholm où l’un des danseurs a ajouté «Peace !». Et tout le monde en Israël n’était pas vraiment «Happy» !
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La problématique des drapeaux est récurrente à l’Eurovision. L’UER a déjà voulu interdire d’autres couleurs que celle des (du) pays représenté(s), notamment dans le public, mais l’organisation s’est rapidement prise une volée de bois verts de la part des entités fédérées de l’Espagne…
1996 : la Belgique
Que l’on soit tout de suite rassuré, la Belgique n’a plus vraiment de problèmes avec ses voisins depuis 1839 et le Traité des XXIV articles. En 1996, le clash politique venait plutôt de Flandre, lors de la carte postale qui précédait la prestation de Lisa del Bo, la chanteuse choisie par les téléspectateurs de la BRTN (ancien nom de la VRT) pour nous représenter à Oslo.
Après une brève présentation (les jolies tortues de Lisa et son engagement dans les chorales du Limbourg), la télévision norvégienne avait eu l’idée de demander à des éminences du pays (ministres, ambassadeurs, représentants diplomatiques ou culturels,…) d’encourager son représentant.
À l’époque, Luc Van den Brande, Ministre-Président flamand réputé pour son nationalisme modéré, avait sauté sur l’occasion. «La Flandre souhaite plein de succès…», avait-il annoncé devant l’Europe entière, le tout avec un lion flamand dans le dos et le sous-titre de Prime-Minister of Flanders…
Hasard de l’histoire, «Liefde is een kaartspel» sera la dernière chanson belge en néerlandais, à ce jour. En 1999, l’obligation de chanter dans la langue nationale saute et la Communauté flamande préfèrera miser sur l’anglais.
La carte postale belge (à partir de la 21e minute) :
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La chanson de Lisa del Bo :
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Les problèmes politico-linguistiques de la Belgique sont maintenant connus de tous, et chaque année, nos candidats n’échappent pas à la question des blogueurs sur les relations entre Flamands et Wallons. Souvent, les artistes restent sans voix…
1969 : l’Espagne
Après la victoire de Massiel et son célèbre «La la la», en 1968, c’est Madrid qui accueille le Concours, un an plus tard dans des conditions d’organisation difficiles. Le régime en place (la dictature sous Franco) ne plait pas à tout le monde. L’Autriche se retire et les Pays-Bas hésitent. Finalement nos voisins seront bien de la partie.
2013 : la Finlande et le mariage «pour tous»
À la base, les titres en lice pour l’Eurovision doivent être «engagés», en résumé, ils doivent faire passer un «certain» message. Et parfois, le Concours est un peu pris en otage par la chanson. C’était le cas en 2013, où la candidate finlandaise, Krista Segfrids lance un pavé dans la mare alors que dans son pays le débat sur le mariage gay fait rage.
«Marry Me» raconte les péripéties d’une femme amoureuse qui va se marier. Au bout de la chanson, Krista épouse finalement sa moitié qui est… une femme ! Le message est passé et le petit bisou sur la bouche ne passe pas inaperçu…
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2014 : l’Autriche et la cause LGBT
Dans le même ordre d’idées, l’Autriche emboîte le pas, en 2014, à Copenhague, avec une femme à barbe : Conchita Wurst. Après de nombreuses déconvenues et une pause entre 2008 et 2010, l’Autriche veut gagner et s’en donne les moyens. Quoi qu’on en dise, et même si la chanson rappelle une B.O. de James Bond, «Rise Like a Phoenix» peut prétendre à la victoire.
La personnalité du chanteur (et oui, c’était bien un homme !) a fait le reste. Le trophée en poche, Tom Neuwirth (c’est son nom) devient une icône auprès de la communauté gay pour avoir osé la carte du travesti.
Conchita Wurst fera le tour du continent et sera même reçue au Parlement européen en tant que porte-voix de la cause LGBT encore à plusieurs vitesses selon le pays où l’on naît. Ces derniers mois, Tom a lâché ses habits de Conchita souhaitant plutôt être reconnu pour son talent, que pour le symbole de son déguisement…
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En 1998, Dana International avait ouvert la voie en étant le premier participant transsexuel de l’histoire de l’Eurovision. Elle avait également remporté le concours, et pour un pays qui n’était pas très réputé pour sa tolérance : Israël.
La liste est encore longue : l’Espagne qui rechigne à choisir une chanson en catalan plutôt qu’en castillan ; le Concours Eurovision de la Chanson de 1995 à Dublin, placé sous le signe de la réunification et de la paix sur toute l’île irlandaise ; le Kosovo que l’UER reconnaît en tant qu’État souverain, mais pas la Serbie, ce qui lui ferme les portes de la compétition ; ou encore des manifestants portugais (1964) qui se trompent de moment lorsqu’ils envahissent la scène…
De tout temps, la politique s’est immiscée sous les projecteurs du concours. Et même si le socle de l’Eurovision est l’union de tout un continent autour de la culture et des différences qui enrichissent chacun, plus les années passent, plus les organisateurs donnent l’impression que la seule chose non-politique à l’Eurovision, c’est le slogan. Cette année : «Celebrate Diversity». Tout un programme !
Pierre Bertinchamps
Merci à la base de données Eurovision de Christian Masson.