Buster Keaton, le génie comique qui ne riait pas

Artisan du rire, l’acteur ne supporta pas l’industrialisation d’Hollywood et sombra dans l’alcool © Corbis via Getty Images

Artiste culte surnommé l’homme au visage de pierre, l’acteur et réalisateur (1895-1966) sut amuser le public avec une pantomime aussi subtile que précise. Ce lundi à 0h30, Arte rediffuse son chef-d’œuvre, «Le Mécano de la Générale».

Aussi admiré que les Marx Brothers, Harold Lloyd et Chaplin, Joseph Frank Keaton Jr., alias Buster, eut le même but qu’eux : épingler dans ses œuvres l’absurdité de la modernité. Du « Mécano de la Générale » (1926) – qualifié par Orson Welles de « plus grande comédie jamais réalisée » – au « Plombier amoureux » (1932) ou au « Roi des Champs-Élysées » (1934), la star du cinéma muet se distingua des sursauts de moustaches et de sourcils des autres acteurs avec un visage placide…

Imperturbable

Son génie était ailleurs : dans son expérience d’enfant lorsque, accompagnant son père dans ses shows burlesques, il apprit les acrobaties avec une minutie ébouriffante. Dans un numéro, son paternel le tenait par les pieds, le balançant en faisant mine de balayer la scène avec ses cheveux ! Adulte, Buster devint le pince-sans-rire de l’écran qui réjouit le public via cette agilité corporelle. Les gens s’esclaffaient devant ce gars malmené par mille et une calamités, mais qui encaissait sans broncher !

Bravant vents, averses, toits glissants, auvents brinquebalants ou véhicules en mouvement, l’acteur exécuta lui-même ses cascades sans se dérider, tel le citoyen lambda des années 1930 affrontant les durs aléas existentiels. Buster ressortait des tournages avec contusions et blessures, mais seuls comptaient pour lui l’excellence et le spectacle.

Coup de massue

Pour préserver le peps de ses gags, il refusait de répéter les plans, préférant l’improvisation, imparable stratégie synonyme de surprise et d’esclaffements. Sur le plateau des « Trois âges » (1923), Keaton devait dire aurevoir à sa partenaire, Margaret Leahy, en s’éloignant. Mais soudain, il se retourna et l’étreignit ! Leahy, en colère, cassa un vase. Le tout resta gravé sur la pellicule pour le meilleur et pour le rire.

Mais le génie subit un coup de massue. Habitué à mener sa barque seul, le héros de « L’Opérateur » (1928) fut déstabilisé par l’industrialisation hollywoodienne et les méga studios dont les stars devinrent des salariés sous contrat. Et sous contraintes. L’ultra perfectionniste ne les supporta pas, regretta d’avoir signé avec la toute-puissante MGM et sombra dans l’alcool.

Son désir d’autonomie et de bien faire passa pour un caprice de diva. En réalité, Buster n’en avait que faire du succès. Comme le souligne le biographe James Curtis : « Le cinéma lui était devenu aussi essentiel que la respiration, il ne pouvait imaginer la vie sans. » Ce besoin éperdu le ramena sous les projecteurs jusqu’à son trépas en 1966, à 70 ans. Celui qui manqua souvent d’air libre fut étouffé par un cancer du poumon. Mais sa singularité fait encore des siennes à l’écran !

Cet article est paru dans le Télépro du 23/10/2025

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