Ce jeudi à 21h, La Trois diffuse «Habib, la grande aventure». Une fable touchante, à l’humour joyeusement décalé, sur la quête identitaire, construite par le formidable réalisateur belge Benoît Mariage.
Habib est un jeune acteur qui rêve de théâtre et de cinéma, mais qui n’enchaîne que des rôles sans envergure. Sa famille a du mal à comprendre. Jusqu’au jour où il décroche un petit rôle de gigolo aux côtés de Catherine Deneuve. C’est le début de la grande aventure, mais aussi celui des problèmes… Le film de Benoît Mariage est diffusé jeudi sur La Trois. Rencontre avec le réalisateur.
Benoît Mariage, est-ce qu’on peut dire qu’ « Habib, la grande aventure » est une fable sur l’identité ?
Oui. Je voulais offrir une histoire attractive et drôle, mais aussi interpeller. La réflexion proposée par le film dépasse le contexte de la double culture belgo-marocaine : pourquoi est-ce si difficile de devenir ce que l’on est ? Questionnement exacerbé quand on est écartelé par les différents milieux qui nous composent, comme c’est le cas d’Habib, acteur intellectuel engagé dans la modernité, issu d’une famille traditionnelle. La grande aventure humaine qu’évoque le titre n’est pas d’avoir parcouru 40.000 km pour aller sur la Lune, c’est une aventure bien plus compliquée, celle de franchir cette distance qui nous sépare de nous-mêmes.
Au départ, il y a une histoire vraie ?
Oui. Lors d’un atelier avec mes étudiants, je rencontre Bilal, un jeune acteur d’origine marocaine. On sympathise, il me demande d’animer un atelier cinéma dans son quartier. Et puis quatre ans sans nouvelles. Quand je vais au cinéma voir « Le Tout Nouveau Testament » (2015) de Jaco Van Dormael, je découvre Bilal en jeune gigolo dans le lit de Catherine Deneuve. Je l’appelle pour le féliciter : « Tes parents doivent être fiers ! ». « Tu parles ! », me répond-il. « Quand ils m’ont demandé ce que j’allais faire dans ce film, je leur ai dit que j’aidais une vieille dame à faire ses courses. » La tristesse d’avoir dû occulter cette expérience à ses parents fut le point de départ de mon écriture.
C’est pour cela que Catherine Deneuve a accepté ?
Je ne sais pas. Mais elle se souvenait très bien de ce jeune homme. Pourtant, c’était mal embarqué, elle m’a dit qu’elle n’aimait pas jouer son propre rôle. J’ai répondu que le scénario se charpentait autour d’elle, que si elle refusait, tout s’effondrait. Elle a fini par dire oui. Je pense que le scénario l’avait amusée. Je lui en suis très reconnaissant.
La honte habite-t-elle Habib ?
Oui, la honte est une blessure de l’âme d’Habib, blessure qu’il ignore et que, j’espère, le spectateur devine. Elle fragilise son identité. De peur de ne plus être aimé, il veut répondre aux attentes des différents milieux qui le composent. Et là, c’est mission impossible. Toute la tension dramatique du film est construite sur ce tiraillement intérieur perpétuel. Le monde moderne est fait de transfuges. C’est une bonne chose. Mais lorsqu’on quitte le monde qui nous a vu naître et dans lequel on a grandi pour adhérer à un nouveau monde, que garde-t-on des valeurs de ce monde originel, que prend-on des valeurs de ce monde d’adoption ? Le tiraillement d’Habib, nous sommes beaucoup à l’avoir ressenti de l’intérieur, à un moment donné de notre vie.
Cet article est paru dans le Télépro du 14/8/2025