
Charlie Chaplin : sa plus belle leçon d’humanité
En 1936, l’acteur, scénariste et réalisateur qui a toujours été du côté des opprimés, sortait un bijou poétique et mordant : « Les Temps modernes ». Le film bien nommé est encore et toujours d’actualité. Il est à revoir ce mercredi à 21h sur Arte, suivi à 22h25 du documentaire « »Les Temps modernes » : La voie du silence».
Sous ses dehors de vagabond maladroit et tendre, Charles Spencer Chaplin (1889-1977) choisissait toujours de croquer avec malice les soucis de son époque, sans savoir que beaucoup des sujets choisis étaient intemporels. Et conserveraient aujourd’hui une résonance particulière.
Moutons de Panurge
Quand l’artiste tourne « Les Temps modernes », la plupart des Américains vivent dans la misère engendrée par le capitalisme qui favorise la gentrification et aggrave la précarité de la classe ouvrière. Ils fréquentent la soupe populaire et acceptent des jobs harassants proposés par le nouvel univers industriel. C’est en visitant une usine de montage automobile Ford où des employés, quasi fous à force de répéter les mêmes gestes, subissent des crises de nerfs, que l’artiste a l’idée de ce film dénonçant inégalités et souffrances du « petit » peuple.
Dès le prologue, un jeu d’images superposées en dit beaucoup. D’un côté, on voit des moutons serrés et abandonnés à leur triste sort dans un enclos. De l’autre, la caméra alterne avec des travailleurs sortant en nombre de bouches de métro et résolus à rejoindre leur pénible labeur. Ce désolant panurgisme frappe les spectateurs. Le personnage fétiche de Chaplin, le Vagabond (the Tramp), lui, turbine dans une usine. Broyé par le système, il est le frêle jouet de ses chefs.
Muselés et pressurisés
Le 7e art étant passé aux fictions parlantes, la star du muet choisit de mêler séquences sans paroles, musiques allégoriques et scènes sonores. Mais les personnages qui donnent de la voix sont uniquement les puissants, dont un patron sur grand écran aboyant des ordres aux employés. Les subordonnés, eux, ont plutôt intérêt à se taire, à obtempérer. Et ce, quelles que soient leurs obligations !
Charlot est ainsi choisi pour être le cobaye d’une « machine à manger », censée permettre aux travailleurs d’être nourris vite et bien. Surtout vite. Si bien que l’ouvrier, ne parvenant pas à suivre la cadence, se prend une pelletée de grains de maïs dans la figure. Avec cette séquence, Chaplin met en boîte la consommation à tout prix et le manque de temps pour simplement vivre et se restaurer à l’aise. Voilà qui préfigure les fast-food et les actuels forçats s’envoyant smoothies, donuts ou boissons Starbucks au lance-pierre dans les transports en commun…
« Souris même si ton cœur souffre »
Le héros finit par péter les plombs – ah, déjà le burn-out ! -, endure d’autres imprévus dont une grève et un emprisonnement injuste. La poésie émerge tout de même au milieu du marasme : l’homme s’amourache de « la Gamine » (Paulette Goddard), orpheline et clocharde. L’épilogue les montre partant vers, on l’espère, de meilleurs jours, sur une musique prenante. Cet air deviendra une chanson, « Smile », en 1965, grâce à un joli texte : « Souris même si ton cœur souffre, souris même s’il se brise (…) Tu t’en sortiras… » Peu avant la création du film, Chaplin avait évoqué le chômage de masse : « Si on continue à considérer la situation actuelle comme inévitable, toute la structure de notre civilisation risque de s’effondrer. » À méditer.
Cet article est paru dans le Télépro du 24/4/2025
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