Inédit sur La Une : « Merckx », un portrait du Cannibale entièrement composé d’images d’archives. À voir ce mercredi à 20h20.
Cher Eddy… C’est un honneur et une faveur qui me sont accordés de pouvoir m’adresser à vous. Pour annoncer le documentaire qui vous sera consacré mercredi sur La Une, bien sûr. Mais surtout pour vous faire part de toute mon admiration et de ma reconnaissance. À mes yeux, comme à ceux de tant d’autres, vous représentez encore bien plus que la longue liste de vos succès sportifs. À votre palmarès sans égal j’ajouterais des victoires remportées sans que vous le sachiez, « à l’insu de votre plein gré », pour mon plus grand plaisir et celui de personnes que j’ai tant aimées.
Allez Eddy !
La première remonte au 30 juin 1969. J’ai 10 ans. Ce jour-là, nous nous sommes levés tôt, ma marraine, mes sœurs, ma maman et moi. Direction : la côte du Bouny, à Romsée, près de Liège, pour le passage de la 2e étape de votre premier Tour de France. Sièges pliants, panier pique-nique, casquette Faema vissée sur la tête : je vais enfin vous voir en vrai. D’habitude, c’est en noir et blanc que je vous regarde sur la télé de ma « Bobonne », cette fois c’est en couleurs. Ça tombe bien : vous êtes en jaune ! Alors, j’ai mon appareil photo. On attend. Clic clac : la caravane publicitaire, la brigade des motards Martini, debout sur leurs motos. On attend. Clic clac : le journaliste Léon Zitrone passe en voiture rouge et salue la foule. On attend. Clic clac : le peloton arrive ! « Eddy ! » « Eddy ! » « Tu le vois ? Tu le vois ? » Fzzz, fzzz : le bruit des vélos qui passent à toute vitesse. Fzzz. Rouge, blanc, violet, à damiers : les maillots défilent. Fzzz : déjà, ils s’éloignent, déjà c’est fini. « Tu l’as vu ? Tu l’as vu ». « Oui, ouiii ! », je réponds… Mais c’est pour ne pas attrister ma marraine. L’excitation, la joie, tout s’est passé trop vite. Ce sera pour la prochaine fois. Mais cette journée avec ma marraine, grâce à vous, reste l’une des plus merveilleuses de ma vie d’enfant. Quelle victoire touchante. Place à la suivante.
Vive la légende !
Le Puy du Fou. Vendredi 2 juillet 1993. J’ai 34 ans, je suis journaliste. Le Tour de France partira le lendemain. En attendant, à la nuit tombée, l’heure est à la parade des coureurs dans ce site grandiose. Aux hommages aussi. Vous êtes là et on vous applaudit à tout rompre. La fête s’achève, ses lumières s’éteignent. Avec Alain, le cameraman, et mon collègue Philippe Castel, nous rangeons le matériel, nous rentrons. Et soudain, vous êtes là, seul. Mon collègue : « Bonjour Eddy. » Moi : « Euh, euh… bonsoir… euh… Eddy. » Vous : « Comment ça va ? C’était beau hein ? » Mon collègue : « T’es tout seul ? » Vous : « On devait me ramener à l’hôtel, mais je crois qu’on m’a oublié. » Mon collègue : « On va te reconduire. » Vous : « Vous êtes sûrs ? Ça ne dérange pas ? ». Moi (dans ma tête) : « Non mais, c’est pas possible ! Eddy. Dans la voiture. Avec moi. Et il demande si ça ne dérange pas ! » À l’arrière, je suis à côté de vous (vous n’avez pas souhaité vous asseoir devant). Mon héros, l’homme qui m’a fait choisir mon métier. Vous à moi (très ému) : « Il y a longtemps que tu fais ça ? Tu as des enfants ? » Vous ne vous en souvenez certainement pas, Eddy. Pourtant ce soir-là reste un des plus beaux moments de ma carrière. Parce que, malgré votre notoriété, trop de simplicité, trop de gentillesse, trop de… Eddy Merckx. Encore une victoire, attachante. Ce n’est pas fini.
Allez Régine !
Quelques années passent. Le village de Saint-Rémy, sur les hauteurs de Liège. Ce matin-là, vous arrivez de bonne heure, en tenue cycliste, mais sans vélo. Sur le pas de la porte de sa maison, une vieille connaissance attend : Joseph Bruyère, « votre fidèle lieutenant ». Vous êtes venu, avec d’autres anciens équipiers, Jos Huysmans notamment, pour la randonnée cyclo Joseph Bruyère. Avec mon cameraman, Francy, nous sommes-là pour immortaliser l’événement. Arrive Régine, la fille du grand Joseph. L’adolescente est aussi en tenue. Elle non plus n’a pas de vélo. C’est à ce moment qu’un tandem arrive… et que je comprends tout. Régine est malvoyante. Vous allez la conduire, elle sera votre partenaire. Il y a des rires, de la complicité… et beaucoup d’émotion ce jour-là. Chez elle, chez vous, chez Joseph et tous ceux, dont j’ai la chance de faire partie, qui ont le privilège de partager l’instant… Voilà, cher Eddy, un de ces suppléments d’âme, le bouquet d’une victoire inconnue que vous m’avez offert. Comme vous en avez offert à des milliers d’enfants devenus grands. Ces souvenirs empreints d’émotion, de modestie et d’humanité les font encore vibrer. Merci Eddy !
Cet article est paru dans le Télépro du 5/6/2025