
Jacques Mercier : «Je n’aime pas qu’on se moque de l’Eurovision»

«Monsieur Dictionnaire» a commenté l’Eurovision pour la RTBF dans les années 80. Souvenirs.
Jacques Mercier a longtemps commenté le Concours Eurovision, d’abord en radio, puis en télé, dans les années 80.
Il évoque pour nous ses souvenirs d’un programme peut-être d’une autre époque, mais qui n’a pas pris une ride…
Pourquoi vous a-t-on choisi pour commenter l’Eurovision, à l’époque ?
Je m’occupais déjà de programmes de variétés… Paule Herreman présentait l’Eurovision avant 1980 pour la RTBF. Il se fait qu’elle était interdite de séjour en Hollande, et cette année-là, c’est La Haye qui accueille la compétition. La RTBF a cherché un remplaçant pour une année. On ne comptait pas trop sur mon talent, pour le faire, puisque je ne l’avais jamais fait en télé… Je le faisais en radio déjà depuis 1964, avec un téléviseur dans le studio et on commentait comme ça. Je connaissais un peu la façon de faire.
Vous deviez commenter seul ?
Non, il était prévu que je sois en duo avec Jean Vallée qui avait terminé à la 2e place de l’Eurovision en 1978 (et qui était également animateur sur la RTBF, NDLR). Il se fait que Jean est arrivé trop tard dans la salle et on lui a interdit d’entrer… Il est resté, je ne sais pas où, et je me suis retrouvé tout seul aux commentaires. J’avais préparé les notes « à l’ancienne », c’est-à-dire « l’Espagne s’est présentée en telle année avec tel truc ». Aujourd’hui, ça se fait moins comme ça. Jean-Pierre Hautier le faisait encore de cette façon là aussi.

L’exercice vous a plu ?
Ah oui… J’ai trouvé ça passionnant à faire. En plus c’était en quelque sorte 8 jours de récréation. On arrive, on est VIP, on est bien reçu, il y a des cadeaux de toutes les télés qui participent, il y a des visites guidées en ville… Il s’y crée une famille entre animateurs, surtout à l’époque. J’ai discuté avec Léon Zitrone, Patrice Laffont, Patrick Sabatier, etc… pour la télévision française, ou Luc Appermont qui présentait pour la BRT. Lui était là depuis quelques années, il me refilait tous les tuyaux pour ne pas rater ce qui se passait et les événements intéressants à participer. Je trouvais ça formidable. J’ai évidemment demandé à la direction de la télé de continuer à le faire si possible. Paule Herreman était un peu fâchée après moi…
Vous aviez un réel attrait pour le Concours Eurovision ?
Oui, je le suivais déjà quand j’étais ado.. Je me souviens d’Isabelle Aubret avec « Un premier amour », en 1962, ou Alain Barrière, et surtout Jean-Claude Pascal qui chantait « Nous les amoureux » en 1961. J’adorais cette chanson. Elle avait un double sens que personne n’avait saisi, à l’époque. D’ailleurs, c’était marrant parce que je me disais, tiens.. « il dort sur les genoux du bon Dieu »… j’avais trouvé ça très poétique ! Et j’ai croisé Jean-Claude Pascal lors d’un autre Eurovision, c’était quelqu’un de très sympa.
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Et à la radio, vous étiez demandeur de commenter l’Eurovision ?
Quand je suis entré à la RTB, en 1963, j’étais au service jazz et variétés. Le présentateur de l’époque me l’a demandé parce que j’étais son assistant, et il voulait avoir une voix plus jeune pour un aspect plus jeune de l’événement. On a fait ces commentaires en duo « off » pendant plusieurs années.
Est-ce que vous participiez au choix des chansons ?
Dans les années septante, par exemple, pour Pierre Rapsat, j’étais dans le jury. En réalité, on était dans un bureau et on discutait du titre à choisir. Il y avait une personne de la SABAM, et des gens de la RTBF qui faisaient des variétés et qui apportaient leur expertise.
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Vous aviez des critères précis ?
J’ai toujours cru, et depuis le tout début, qu’il n’y avait aucun critère qui faisait qu’on gagne ou qu’on ne gagne pas. Souvent, c’était un style à l’opposé de l’année précédente qui l’emportait. Et puis quand il y avait une mode, ça passait… Il n’y avait pas de modèle. Pour Pierre Rapsat, on misait un peu sur l’originalité de la Belgique. C’est un truc qui n’est pas anglo-saxon, mais dans l’air du temps. « Judy & Cie » n’était pas mal, mais manquait peut-être un peu du côté universel pour séduire tout le monde. Il faut que le titre soit bon. Et que ça sonne bien. Puis est venu ce problème éternel de la langue. Pendant longtemps, c’était un gros problème, surtout pour les Flamands…
Qu’est-ce qu’un bon commentaire ?
Moi j’essaie d’expliquer où se situait le pays dans la compétition, qu’aux répétitions, ils avaient été accueillis d’une telle façon.. C’était instructif et objectif. Finalement, c’était sérieux comme la RTBF pouvait l’être, pratiquement dans toutes les émissions.
Et quand vous entendez aujourd’hui les commentaires qui sont décalés…
Ça me plait moins… Je me place plutôt du côté flamand où ils prennent l’Eurovision très au sérieux, et ça me frappait déjà à l’époque. Il y avait parfois une dizaine de journalistes flamands et seulement trois francophones parce que on était influencés par le côté « intellectuel français » et on se disait « Bah ça c’est comme une élection de Miss quoi ! ». En Flandre, ils continuent à être très sérieux. Ce côté un peu « nationaliste » pour notre candidat, on ne l’a pas, mais on l’a jamais eu finalement à cause de cette « grande sœur française qui bouffe tout ». Se moquer de l’intérieur de la chose, je comprends très bien, mais, c’est en porte-à-faux par rapport à ce que ça doit être. C’est devenu un énorme show, grandiose, formidable… Regardons le pour ça. Il faut aussi se rendre compte de la difficulté pour le chanteur, pour le choix d’un pays. J’ai vu de près la tristesse des gens qui n’ont pas réussi. Que vous soyez 2e ou dernier, c’est terrible. C’est comme tout dans la vie, mais l’enjeu est très important. Là, c’est une vitrine internationale et est-ce qu’il faut s’en moquer ou se dire voilà, c’est l’occasion ou jamais ? Quand j’ai arrêté de commenter l’Eurovision, on m’a reproché d’être trop documenté ! Je pense qu’on partait vers une autre façon de voir l’Eurovision, à l’époque.

Est-ce qu’on vous demandait d’être un peu chauvin ?
Je ne vais pas être plus chauvin que ce que je l’étais très fort à l’époque… (rires) J’ai fait pendant 6 ans ou 8 ans les petits matins qui avaient encore le monopole, ce qui fait que tout le monde écoutait. Quand on passait un disque, rapidement il était manquant chez le disquaire. C’était évidemment passionnant, mais avec une grande responsabilité. Je mettais de plus en plus de chanteurs belges parce que mon idée était que si je mettais un chanteur de chez nous, et un peu à la fois, je réussirais à remplacer Georges Brassens par Julos Beaucarne. Et je suis arrivé certains matins à diffuser 80 % de musique belge. On m’a plus ou moins demandé de partir parce que les multinationales sont intervenues en se plaignant qu’on ne passait plus ce qu’elles essayaient de nous vendre.
Votre premier Eurovision à la télé, c’était avec un de vos amis, Marc Moulin et Télex…
Télex voulait arriver dernier, et n’a pas été dernier. Il a beaucoup râlé parce que tant qu’à faire l’Eurovision, autant être dernier… Mais bon, les Portugais nous ont donné 10 points. C’est un truc nouveau, on envoyait un son électronique, la « pop électronique ».
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Y avait-il un « rituel » pour les commentateurs ?
On faisait une répétition où chaque animateur devait sortir de sa cabine, pour qu’on lui montre le parcours pour arriver le plus vite possible sur scène parce qu’il y avait un duplex, en cas de victoire, avec une interview de l’artiste. Je faisais ça tous les ans, j’avoue, un peu en riant. Le comble, c’est que j’arrête après l’édition de 1985 parce qu’on avait un nouveau directeur des variétés et il voulait placer quelqu’un d’autre. De mon côté, je me dis qu’après 5 éditions, ça va, je peux passer à autre chose. Et évidemment… en 1986, je suis chez moi, à regarder avec ma femme et mes enfants. Je vois arriver les points. Je me dis, ça n’est pas possible. On ne va quand même pas gagner l’année où j’arrête… Comme je l’ai raconté à Sandra Kim à l’époque, je pense que je suis le seul belge francophone à avoir râlé de sa première place à l’Eurovision !
Vous avez continué à regarder l’Eurovision, les années suivantes ?
J’étais un peu gêné par les commentaires, partout ailleurs… À partir du moment où c’est devenu un énorme show, ça devenait – pour moi – n’importe quoi. Mais je comprends la démarche des producteurs. Je suis attaché à la bonne chanson française. Le programme m’intéresse moins… Les morceaux faits pour l’Eurovision sont une « case à part ». C’est bien particulier, mais je ne l’écouterais pas non-stop. Quand je regarde l’Eurovision, c’est plus par curiosité qu’autre chose, pas parce que c’est un grand show qu’il ne faut pas rater. C’est un événement auquel, j’ai un peu participé, je le respecte mais je ne l’attends pas chaque année. Maintenant, je suis plutôt porté sur la musique classique et le jazz que la variété.
Qu’est-ce que vous auriez envie d’envoyer à l’Eurovision 2026 ?
J’enverrais quelqu’un comme la rappeuse de chez nous, Shay, qui en plus, chante en français. Le rap est un style à part, et on ne sait pas s’il touchera autant un téléspectateur bulgare que nous. C’est là la question. Il faut chercher le plus grand dénominateur commun. Ce n’est évidemment pas cette chanson-là, ça ne va pas être un truc de jazz, non plus… ni une très bonne chanson française à la guitare.
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Vous avez écrit un roman qui évoque l’Eurovision, « La Tendresse inutile »…
Oui, le roman ne raconte pas que l’Eurovision, mais l’histoire reprend des choses que j’y ai vécues, au début des années 80, au moment où je présentais l’Eurovision. Je raconte de l’intérieur au travers de l’histoire d’un parolier. À l’époque, je faisais déjà des textes de chansons et beaucoup de traduction pour des chanteurs flamands. J’ai fait des textes sous un pseudonyme, évidemment, et je ne me programmais pas moi-même dans mes émissions. J’ai imaginé un héros : le parolier qui raconte son histoire depuis son adolescence où il faisait ses premiers poèmes, jusqu’à une fin qui a une morale. Il a eu un très gros succès, et je décris les dessous des sorties, du showbiz… J’explique comment ça fait de l’avoir vécu, et il y a tout un passage sur l’Eurovision, mais sans le citer. Tout le contexte est vrai et les gens rencontrés par ce parodier existent aussi.

Que faites-vous aujourd’hui ?
J’accepte des propositions si elles correspondent à mon âge et à ce que j’ai fait. Des archives ou parler des mots et de la musique classique comme je le faisais sur Musiq’3. Ça me plaisait beaucoup, et je l’ai fait pendant un an et demi et puis, il y a eu les économies à la RTBF… Moi, je n’ai plus d’enjeu, plus de concurrence, et même si tout s’arrête, je suis n’en suis pas trop fâché !
Interview : Pierre Bertinchamps
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