La recette d’un miracle suisse à l’Eurovision !

Nemo, le représentant suisse au Concours Eurovision 2024, à Malmö © TT News Agency/AFP via Getty Ima
Pierre Bertinchamps
Pierre Bertinchamps Journaliste

Souvent en galère à l’Eurovision, la Suisse a (re)trouvé le chemin de la victoire. Explications.

Depuis l’instauration des demi-finales à l’Eurovision, la Suisse avait souvent eu du mal à franchir les cols qui l’amèneraient au sommet de la Grande Finale. Plusieurs langues, plusieurs communautés et plusieurs cultures musicales… À l’image de la Belgique, nos cousins se perdaient un peu dans le Concours Eurovision de la chanson. Avec la victoire de Nemo, l’an dernier à Malmö, le travail a payé.

Consultant Eurovision et commentateur pour la RTS (Télévision suisse romande), Nicolas Tanner explique comment cette « Petite Suisse » est devenue une grande nation de l’Eurovision en quelques années. En toute neutralité…

Comment a fait la Suisse pour gagner l’Eurovision en 2024 ?

La Suisse voulait aller à l’Eurovision pour remporter le concours avec cet objectif-là. Je crois que les Suisses restent humbles. Je ne pense pas qu’on part chaque année en nous disant qu’on va gagner l’Eurovision. Mais ce qu’on essaie de faire, c’est amener le meilleur possible de ce qu’on peut proposer, en fonction des sélections que l’on a. C’est vrai que la Suisse a eu un parcours très difficile depuis l’arrivée des pays de l’Est. Notre dernier succès était avec Annie Coton (« Moi, tout simplement », en 1993). Après, c’est vraiment le désert, avec beaucoup de relégations.

Jean-Marc Richard et Nicolas Tanner, les commentateurs de la RTS (télévision suisse) © Les Echos de l’Eurosong (Facebook)

Il y a eu un déclic ?

La SSR (holding qui chapeaute la télévision suisse romande et les trois autres médias nationaux, NDLR) a reçu beaucoup de critiques de la part des journalistes qui disaient : « Arrêtez, le massacre, ça ne sert à rien !» Il y avait un petit peu ce côté Calimero, de la part des Suisses… « Personne ne nous aime en Europe, on ne fait pas partie de l’Europe. On peut amener n’importe quoi, on n’y arrivera jamais. » Il y a eu un changement de délégation à partir de 2018, et c’est à ce moment-là qu’on s’est dit « On tourne en rond, on n’arrive pas à aller plus loin, on n’arrive pas à se qualifier. Il faut vraiment avoir un concept. » Il faut faire quelque chose qui mette en avant les artistes suisses. Il faut qu’il y ait quelque chose de « suisse » dans nos performances.

Il y avait déjà une idée de « concept »…

On devait arriver avec une bonne chanson et prendre quelqu’un qui sait chanter. Faire une mise en scène, pour avoir comme objectif de gagner à nouveau l’Eurovision. C’est le pari du chef de délégation Reto Peritz, qui a repris les rênes. La Suisse a de la bonne musique, on a des bons musiciens, on a de la créativité, on a quatre langues nationales, on a des artistes fantastiques. Et au lieu de dépenser de l’argent dans une sélection pour avoir des gens qu’on n’arrive pas forcément à mettre en avant. En plus, elles n’étaient pas assez qualitatives et le public ne les suivait plus. C’était plus porteur de dépenser l’argent qu’on avait à disposition pour créer des camps d’écriture et inviter des artistes et y faire des compositions. Il y avait une vraie démarche réfléchie.

Et comment ça se traduit dans les faits ?

On disait, on va dépenser l’argent là-dedans, et une fois qu’on a choisi, dépenser l’argent dans la mise en scène, avoir des choses professionnelles avec des gens professionnels, travailler sur la voix, travailler sur la performance scénique, faire des vidéos qui soient attractives pour le public, qu’il y a déjà un intérêt, puisque maintenant, avec les réseaux sociaux, tout se passe avant le concours, et on a mis en place tout ce concept-là dans le but, effectivement, de gagner.

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Les artistes y font ce qu’ils veulent ?

Oui, et c’est vrai que dans les 400 chansons que j’ai écoutées, il y a de tout, ça c’est clair. Il y a vraiment des trucs nuls, il y a des trucs vraiment très bien. Après, le problème, c’est que ce qu’on entend. On ne sait pas si ça se concrétise sur scène, et comment ça va être reçu pour le téléspectateur. On nous dit toujours : « mais pourquoi avez-vous choisi ça cette année ? » Parce qu’il n’y avait rien d’autre, et par rapport à ce qui a été présenté, c’était ce qu’il y avait de mieux.

Comment ça s’est passé pour Nemo ?

C’est un concours de circonstances… une rencontre avec Nemo, qui a accepté de participer au camp d’écriture. Lui, il y allait plutôt comme compositeur, puisque dans ces camps d’écriture, on invite des compositeurs et des artistes, et on essaye de les faire travailler ensembles. Il y a des compositeurs qui viennent, qui essayent de changer les chansons, de les améliorer, de faire évoluer l’artiste. Mais ça doit être des artistes suisses ou avec un lien fort avec la Suisse.

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C’est très important pour nous. Quand Nemo est rentré dans les sélections suisses, dès le départ il a dit : « je vous propose cette chanson, je vous la chante, je fais une maquette, on la met dans la sélection, et on essaye de trouver par la suite un chanteur. » Nemo ne voulait pas la chanter au départ. Dans les camps d’écriture, il était parti avec l’idée de donner cette chanson une des filles avec qui il travaillait déjà. Lui voulait qu’elle la chante. Elle a dit non, c’est à toi. Et après, quand il est venu aux auditions à Zurich, on a tout de suite senti que c’était quelqu’un d’exceptionnel, qu’il savait chanter et qu’il pouvait faire le show… Bingo !

Quand avez-vous su que la Suisse pouvait gagner ?

J’avoue la chanson ne m’avait pas convaincue sur la version audio. C’est plus tard, que j’ai été surpris par la chanson et l’artiste sur scène. Je ne disais pas « on va gagner », mais « on est sûr d’aller en finale ». Après, il y a eu la sortie de la vidéo, et tout le buzz qui s’en est suivi. Et là, on avait notre chance pour gagner, mais c’est vrai, j’ai douté…Quand on est dans la délégation, on a toujours le doute que ça ne fonctionne pas.

L’année « d’après » est compliquée ?

Justement, une année après la victoire, c’est difficile de choisir… Mais l’ouragan Nemo, je pense que la Suisse en avait besoin. Un choix à 180 degrés, comme « Voyage » de Zoë Më, qui est  quelqu’un de très authentique, qui a une très belle mélodie, une chanson dans une des langues nationales, c’était un choix judicieux. Et avec son authenticité et son émotion, si elle arrive à les transmettre aux téléspectateurs et aux jurys, elle peut faire un très beau parcours.

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Entretien : Pierre Bertinchamps

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