«La Zone d’intérêt» : le mal absolu dans toute sa banalité

À côté de l’horreur, la vie des Höss se déroulait presque dans l’insouciance
Alice Kriescher Journaliste

Grand prix au Festival de Cannes 2023, Oscar du Meilleur film international, César du Meilleur film étranger, le long métrage du réalisateur britannique Jonathan Glazer pose un regard inédit et glaçant sur l’horreur de la Shoah. À voir ce mardi à 20h30 sur La Trois.

Filmés à maintes reprises, l’ignominie de la Seconde Guerre mondiale et ses camps de concentration l’ont rarement été sous l’angle choisi par Jonathan Glazer. « La Zone d’intérêt », adapté du roman éponyme de Martin Amis, dépeint le quotidien du commandant Rudolf Höss et de sa famille qui entendent bien se construire une vie douillette dans leur jolie maison avec vue sur… les fours crématoires d’Auschwitz.

Employé de l’année

Au cœur d’une nature idyllique, Rudolf et Hedwig Höss font ce qu’il convient de faire lorsque l’on est un jeune couple avec enfants : ils entreprennent d’aménager leur nouvelle maison. Une famille ordinaire… si ce n’est qu’au-delà du mur délimitant leur jardin se déroule l’innommable. Pour voisins, les Höss ont l’immense camp d’extermination d’Auschwitz, dont Rudolf est le commandant. Dans la fiction comme dans la réalité, Rudolf Höss a bel et bien occupé une fonction de premier plan dans les génocides des Juifs d’Europe et des Tsiganes. Entre 1940 et 1943, il n’aura de cesse de parfaire l’abominable : le processus d’extermination qui doit mettre en application la « Solution finale de la question juive ». Höss s’applique tant et si bien à son travail de bourreau qu’il est promu par Heinrich Himmler, chef de la SS. Ravi de son travail, ce dernier désigne Auschwitz pour devenir le principal centre d’extermination de Juifs. Au total, les historiens estiment que Rudolf Höss est responsable de la mort de 1,1 million de Juifs. Lui se plaisait à en revendiquer 3 millions.

La mort est son métier​

En 1946, les génocidaires allemands sont recherchés. C’est Hedwig Höss qui indiquera le lieu de cachette de son mari. Arrêté le 11 mars, Rudolf s’emploiera à consigner ses « mémoires » sur papier. Dans ses confessions intitulées « Le Commandant d’Auschwitz parle », qui donneront lieu au célèbre ouvrage de Robert Merle « La Mort est mon métier », il tente de se présenter comme un simple fonctionnaire, juste un peu zélé. Et pourtant, « ce n’était pas seulement un nazi, c’était un SS.

Rudolf Höss (incarné par Christian Friedel) fut pendu en 1947 face au crématorium d’Auschwitz

Il a été formé par Theodor Eicke, le créateur du système concentrationnaire nazi comme nous le connaissons », rectifie Tal Bruttmann, historien spécialiste de l’antisémitisme, de la Shoah et particulièrement d’Auschwitz, dans GEO. « Il était l’un de ses lieutenants et il a lui-même peaufiné la violence de ce système. Ce n’était ni un petit rouage ni un simple ingénieur, il a été l’une des têtes d’affiches de ce système. »

La mort hors-champ

Durant les 105 minutes que durent le film, la fumée noire en arrière-plan, les cris d’agonie en fond et les bruits étourdissants qui grondent à quelques mètres du train-train quotidien de ces monstres ordinaires, qui papotent tranquillement autour d’un café ou bordent leurs enfants, offre un contraste saisissant. Loin d’y être forcés, les Höss ont choisi de s’installer dans cette maison, appartenant autrefois à une famille polonaise, jouxtant le camp. Ces derniers auraient pu, comme beaucoup d’autres, choisir un domicile plus éloigné, en centre-ville. « Mais Rudolf Höss ne partage pas notre rationalité. Dans sa rationalité de nazi, dans sa vision du monde de SS, ce qu’il se passe dans ce camp est une bonne chose. Il n’y a donc aucun problème à vivre à côté, même s’il s’agit d’un camp de concentration et d’un centre d’assassinats », poursuit Tal Bruttmann. Après son jugement, Rudolf sera pendu en 1947. Et pour lui faire face au moment de l’exécution, Auschwitz.

Cet article est paru dans le Télépro du 20/11/2025

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