1940 : un été en exode

En 1940, comme Jean et sa famille, près de 10 millions de Belges, Français, Luxembourgeois et Néerlandais ont pris la route pour fuir l'armée allemande © RTBF

En mai 1940, deux millions de Belges se sont jetés sur les routes pour fuir la guerre. Jean avait 6 ans. Il n’a rien oublié de cet exode. Ce dimanche à 20h20, La Une consacre sa soirée à «L’Exode» avec un documentaire français que vous pourrez revoir le lendemain à 21h05 sur France 3.

Jean a 86 ans, mais il s’en souvient comme si c’était hier… 10 mai 1940 : la guerre. Jean a alors 6 ans. Il vit à Saint-Gérard, un village de l’Entre-Sambre-et-Meuse. «J’étais en première primaire. C’était un vendredi. Ma grande sœur devait faire sa communion le dimanche suivant, mais nous sommes partis…»

Comme 2 millions de Belges, Jean et sa famille ont pris la route de l’exode.

Souvenir de guerre…

Pourquoi tant de Belges ont-ils décidé de fuir en mai 1940 ? «Papa se souvenait de 1914», explique Jean. Dans les premiers jours de la guerre 14-18, l’armée allemande a en effet massacré de nombreux civils à travers le pays. À Visé, à Huy, à Dinant… Les villes ont été brûlées et des milliers d’innocents exécutés.

«Il se souvenait des parents de tante Emma, qui avaient été fusillés à Tamines… Nous avons donc pris la route dès le dimanche. Direction : la France. D’abord à pied jusqu’à Biesmerée. Puis en tram jusqu’à Florennes. Puis en autorail jusqu’à Mariembourg où des wagons à bestiaux nous attendaient pour le voyage. Trois jours sur de la paille. Souvent le train s’arrêtait, et on entendait que ça mitraillait.»

Tant d’horreur

Les Allemands pilonnent les lignes ferroviaires. Ils bombardent aussi les colonnes de réfugiés qui voyagent à pied. «La femme du cousin Maurice était partie en chariot avec sa vieille mère», raconte Jean. «À chaque attaque, elles se cachaient dans le fossé. Mais au bout de plusieurs alertes, la vieille mère n’a plus eu la force de bouger. Elle est restée sur le chariot, et elle a été tuée. Devant tant d’horreur, la femme du cousin Maurice, qui était enceinte, a perdu son bébé…»

Bien accueillis

«Au bout de trois jours de voyage, nous sommes arrivés dans le sud de la France», poursuit Jean. «On nous a attribué une petite maison dans un village non loin de Béziers. C’était une maison de vigneron, avec des tonneaux au rez-de-chaussée. Nous logions à l’étage. Le soir, pour prendre l’air, on installait une chaise dans la rue. C’est ainsi qu’on a sympathisé avec les gens d’en face… Ils nous ont bien accueillis. Leur fille avait le même âge que ma sœur aînée. Elle était gentille, on l’appelait Mondou. Comme le village devait faire face à un afflux de réfugiés, mon père et mon frère ont été engagés pour du travail administratif à la mairie. Moi, je suis allé quelques semaines à l’école. Après, c’étaient les vacances… On n’était jamais parti en vacances… Mais les parents étaient inquiets. Quand allions-nous rentrer ? Et que resterait-il de la maison ?»

L’ami Henri

«Fin août, nous avons appris que des trains étaient préparés pour nous rapatrier. Nous sommes partis le 5 septembre. En rentrant au village, nous avons eu un choc : la première maison aperçue de loin avait été incendiée… Heureusement, c’était la seule. La nôtre avait quand même été visitée. Les voleurs avaient dévalisé le petit magasin que tenait maman. Et surtout, ils avaient emporté notre seul vélo… On en aurait pourtant eu bien besoin pendant les années d’occupation ! Je suis retourné à l’école. Malheureusement, mon camarade Henri n’était plus là. De retour d’exode, le chariot sur lequel il se trouvait a sauté sur un pont miné. Il est mort sur le coup…»

Rien n’est oublié !

Malgré les années, Jean n’a rien oublié. Il est même resté en contact avec ses voisins de l’été 40 dans le Midi. Mondou, la gentille adolescente, a aujourd’hui 94 ans. «Au début, on s’écrivait. Puis j’ai décidé de redescendre à Béziers avec toute la famille. C’était en 1974. Nous nous sommes revus dans les années 1990… Il faut que je lui téléphone un de ces jours !»

Cet article est paru dans le magazine Télépro du 4/6/2020

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