Irak : le cauchemar d’une très longue nuit

La vieille ville de Mossoul totalement détruite après que l'État islamique ait décidé d'en faire sa «capitale» en 2014 © Isopix/Laurence Geai/Sipa Press

Le pays des Mille et une nuits est plongé depuis des décennies dans l’obscurité de l’urgence humanitaire. La Trois le rappelle samedi à 21h05 dans «Retour aux sources».

Bagdad. Une ville bien au-delà de l’ordinaire, une capitale rêvée. Bagdad des contes des Mille et une nuits, des palais merveilleux, des histoires magiques, des lampes merveilleuses, et derrière ce mirage, celui d’un Irak libre et idéal, un pays que protège un grand chef aimé par ses sujets. Cette chimère a vécu. Depuis bien des années. Ennemis de l’extérieurs, tyrans et extrémistes religieux de l’intérieur président sa destinée, font couler le sang et les larmes, sèment la mort et le désespoir. Décidément, les bons génies semblent définitivement l’avoir abandonné.

Patchwork

Cinquième millénaire avant Jésus-Christ. La première civilisation de l’histoire naît dans une région du Proche-Orient appelée Mésopotamie. C’est là qu’apparaissent, quelques siècles plus tard, l’écriture (- 3400) et l’agriculture, là qu’est construite Babylone, «la Porte des dieux», et là que règne Nabuchodonosor, cinq siècles avant notre ère. Près de 2.000 ans plus tard, ses frontières correspondent pratiquement à celles de l’Irak auquel la Grande-Bretagne accorde son indépendance en 1932. Depuis, entre le Tigre et l’Euphrate, son histoire est bien loin d’être un long fleuve tranquille.

L’Irak est une mosaïque. Côté linguistique, on y parle surtout l’arabe, mais aussi le kurde, l’arménien et l’araméen. Côté religieux, se retrouvent dans ce pays grand comme douze fois la Belgique des musulmans chiites et sunnites, avec de forts antagonismes entre eux et des divisions au sein de chacune des deux branches. Quant aux chrétiens, «en l’espace d’une génération, leur population a diminué de plus de 90 %», note un rapport de l’Aide à l’Église en détresse (AED). Principalement en raison de l’exode provoqué par la violence islamiste à leur égard. Aux différences linguistiques et religieuses, il faut ajouter les différences ethniques. Dans ce pays de 38 millions d’habitants se retrouvent des Arabes, des Kurdes, des Assyro-Chaldéens, des Turkmènes…

Enjeux géopolitiques

La situation stratégique du pays est aussi à l’origine de ses problèmes. Pour augmenter ses accès au golfe Persique, en août 1990, l’Irak se tourne vers le Koweït. Au pouvoir depuis 1979, Saddam Hussein lance ses troupes à l’assaut du pays et de ses richesses pétrolières. La première guerre du Golfe dure six mois, contrée par une coalition de trente-cinq pays dirigée par les États-Unis. La deuxième a lieu en 2003. Saddam Hussein est emprisonné, jugé pour crime contre l’humanité et exécuté en 2006. À partir de là, comme l’analyse le site panarabe As-Safir Al-Arabi : «L’Irak est considéré comme la colonne vertébrale de ce que les Américains nomment le « nouveau Moyen-Orient ». Pour relier la région du golfe Persique à la mer Méditerranée, aujourd’hui, on passe par l’Irak». Ce qui n’a pas échappé à d’autres puissances comme la Russie qui cherche elle aussi «à maitriser cette route vers les hydrocarbures du golfe Persique».

L’étau

Bien avant les guerres du Golfe, un autre conflit avait aussi meurtri le pays : huit années de guerre avec l’Iran entre 1980 en 1988. Et bien après celle-ci, la création de l’État islamique, faisant de Mossoul (la deuxième ville d’Irak) la capitale de son califat, a été un nouveau coup de massue. Aujourd’hui, la menace islamiste, même atténuée, est toujours présente. Quant aux tensions avec l’Iran, elles restent d’autant plus vives que les milices pro-iraniennes sont toujours très visibles et actives au cœur-même de Bagdad. Autant de foyers de tensions auxquels il faut encore ajouter, dans le nord du pays, la présence de l’armée turque pourchassant les séparatistes kurdes du PKK…

Crise sanitaire du coronavirus, chute libre du prix du pétrole, canicule… : «les populations irakiennes désespèrent d’avoir un jour à leur tête un gouvernement qui prendra en compte leurs besoins et qui ne sera plus soumis à l’influence de puissances étrangères», analyse researchgate. net. Les dernières statistiques du HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, font froid dans le dos : 4 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire, plus de 1,4 million sont déplacées internes (dont la moitié sont des enfants), plus de 150.000 vivent dans des établissements informels, des bâtiments inachevés et abandonnés. De l’univers mirifique des Mille et une nuits ne semble plus subsister pour l’Irak que la nuit…

Cet article est paru dans le magazine Télépro du 28/01/2021.

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