Le IIIe Reich et l’argent de Boches

Un astucieux montage financier permet de produire chars, avions et munitions en échappant aux radars de la Société des Nations © Arte/Go Go Go Films

Sur quoi repose le «miracle économique» du régime hitlérien, qui lui a permis de conquérir une grande partie de l’Europe ? Étayé par des travaux récents d’historiens et nourri d’archives rares, un décryptage signé Arte et diffusé mardi à 20h50.

Le 30 janvier 1933, Hitler prend la tête d’un pays à genoux, ruiné par l’hyperinflation des années 1920, puis par la Grande Dépression. Le Führer vise alors trois grands desseins : la remilitarisation du pays – interdite par le traité de Versailles –, la destruction des échanges internationaux, et l’expansion vers l’Est.

Réarmement discret

Le régime hitlérien entend réarmer en toute discrétion. Un astucieux montage financier permet de produire chars, avions et munitions en échappant aux radars de la Société des Nations. Lançant de grands chantiers qui sortent des millions de chômeurs de la misère, l’Allemagne nazie met en œuvre en parallèle une répression politique et syndicale qui rassure le patronat, et institutionnalise les persécutions envers la communauté juive, dont les biens sont volés. Après le déclenchement de la guerre, les pays occupés par les armées du IIIe Reich sont pillés sans vergogne…

Manipulations

Comment l’Allemagne a-t-elle pu, avec peu de devises, un chômage de masse, d’insuffisantes ressources naturelles et un appareil industriel limité déclencher la Seconde Guerre mondiale ? S’appuyant sur les travaux récents d’historiens européens, le réalisateur Gil Rabier met en lumière la façon dont le régime nazi, lancé dans une guerre idéologique à outrance, a surmonté ses difficultés économiques par la manipulation financière, la prédation, la corruption, la spoliation, le travail forcé et le crime de masse.

Gil Rabier, dans votre film, l’historien britannique Adam Tooze explique qu’au début des années 1930, l’Allemagne est quasiment un pays pauvre. Elle se lance pourtant, en 1939, dans une guerre mondiale. Comment est-ce possible ?

Après son arrivée au pouvoir en 1933, Hitler met au point une supercherie monétaire qui repose sur des obligations, les bons Mefo (*), qui permettent de rémunérer les entreprises participant au réarmement du Reich sans laisser de trace comptable et sans débourser d’argent. L’Allemagne peut ainsi commencer à se réarmer en secret et à relancer son économie. Mais cette stratégie ne peut aboutir qu’à la guerre parce que 40 % de l’industrie fabriquent de l’armement. En 1938, l’Allemagne a besoin de toujours plus de pétrole, de charbon et de minerais pour faire tourner ses usines, mais elle n’a pas les subsides pour les payer à ses fournisseurs à l’étranger. La seule solution à cette crise qui se profile est d’accélérer la machine de guerre.

De quelle manière l’économie et l’idéologie du Reich s’imbriquent-elles ?

Hitler crée une économie qui repose sur le vol et la spoliation, avec les juifs comme premières victimes, l’antisémitisme étant au cœur du nazisme. Cela va de pair avec une stratégie de pillage de tous les territoires envahis. Derrière l’image d’Épinal d’une Allemagne nazie extrêmement brutale, mais très bien organisée, se cache en réalité un régime prédateur qui aboutit à une guerre de rapine menée dans l’urgence.

À partir de 1941, les responsables de l’économie de guerre mettent sur pied le «plan de la faim». En quoi consiste-t-il ?

Il prévoit que toute la nourriture produite dans les régions occupées doit être livrée à la Wehrmacht et à la population allemande. Ses concepteurs estiment que cette privation de nourriture condamnera à la famine quelque 30 millions de Soviétiques. Ce projet s’imbrique avec l’entreprise génocidaire nazie car les populations des pays slaves envahis à l’Est sont en grande partie juives. Se noue ici la rencontre effroyable entre la Shoah et les réalités économiques…

(*) Acronyme de Metallurgische Forschungsgesellschaft (Société de recherche métallurgique)

Cet entretien de Laure NAIMSKI est paru dans le Télépro du 4/02/2021.

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