Le tigre, le promeneur et le cacatoès à huppe jaune

Un tigre du Bengale © Getty

Animaux, végétaux : plus d’une espèce sur trois est menacée de disparition. Et si les animaux et l’homme se parlaient ?

Il était une fois, un promeneur. L’envie de prendre l’air l’avait guidé sur un sentier. En pénétrant dans la forêt le pas léger, déjà, il s’était étonné. Dans ses souvenirs, celle-ci commençait bien plus tôt et ses arbres montaient beaucoup plus haut. Mais peut-être sa mémoire lui faisait-elle défaut… Qu’à cela ne tienne, il poursuivait sa route.

Moins de quatre mille tigres

À ce moment précis, surgissant des taillis, un tigre bondit et s’avance vers lui. Pétrifié par la menace et la beauté de la bête, le promeneur se raidit. «Sois tranquille», lui dit d’un ton grave le grand félin sauvage. «Un tigre qui parle ?» L’homme est surpris, l’autre poursuit : «Ne crains rien, je ne te ferai pas de mal. Je ne suis pas un homme, juste un animal. Suis-moi.». Sans vraiment réaliser ce qui lui arrive et pourquoi, le promeneur lui emboîte le pas. L’étrange duo chemine maintenant paisiblement. «Les autres m’ont désigné pour te parler, ils voudraient que tu nous comprennes et que tu nous écoutes aussi. Je me présente : je suis un tigre du Bengale. Il y a un siècle, tu n’aurais pas pu t’aventurer ici sans croiser l’un de mes aînés. Ils étaient près de cent mille à arpenter la planète. Et puis l’homme est venu, nous a chassés pour notre belle fourrure de roux et de noir rayée. Touche ça.» Sans crainte, le promeneur s’exécute, il plonge sa main dans l’épaisse pelisse de son complice. «Il paraît qu’ils vendent ça à prix d’or : jusqu’à 50.000 dollars se murmure-t-il à la veillée du soir. On nous chasse, on détruit notre habitat : on raconte que nous serions moins de quatre mille tigres aujourd’hui.». Le promeneur l’écoute et se tait.

Vu d’en haut

Tous deux progressent maintenant vers un large plan d’eau. «Regarde», dit le tigre. L’homme penche ses yeux vers l’onde qui frémit et n’aperçoit que lui. Puis le reflet du ciel se dessine sur les flots, petit à petit. Il y plonge le regard : ça y est, il vole. Il prend de l’altitude, voit la situation de haut. Tout ouïe, il entend chaque animal qu’il croise lui confier ses maux. «On tue chaque jour 55 d’entre nous», barrit un éléphant à genoux. «L’homme nous domestique et il détruit notre habitat : en un siècle, trois-quarts de nos forêts ont disparu». Plus loin, c’est un panda géant qui est ému : «Nous ne sommes plus que 1.800 en liberté.» Plus loin encore, un gorille gémit : lui et sa compagne sont deux des sept cents survivants de la montagne. Des jaguars, des ours blancs, des antilopes Saola… Tant de douleur dévaste le promeneur. Dans un frémissement de l’air, un nouveau compère ailé se propose subitement de l’accompagner. «Salut l’ami. Je suis le cacatoès à huppe jaune.»

Se jeter à l’eau

Le volubile volatile le prend sous son aile. «Et tu n’es pas au bout de tes peines… Regarde cet aigle royal. Deux mètres d’envergure, un de hauteur, 6 kilos : le bruit, le plomb des munitions du chasseur… il fait le beau, mais il a du mal aussi. Moi-même, j’ai chaud aux plumes. On me trouve nuisible parce que je m’en prends aux cultures et aux habitations, on rêve, pour amuser les enfants, de mettre ma belle crête en cage. J’enrage ! Mais je parle, je parle : as-tu plongé dans l’eau ?» Et voici notre promeneur nageant sous les flots. Une énorme tortue luth l’y attend tranquillement. «Dis-donc, tu n’as pas très bonne mine mon petit.» Il répond : «Je suis tout déconfit de ce qu’on me confie et me dit.» «Et ce n’est pas fini… Regarde-moi, la plus forte et la plus résistante des tortues, parce que je les prends pour de la nourriture, les plastiques m’ont eue. Les grands requins ? On en tuerait cent millions chaque année, 80 % de la population a disparu. N’en jetez plus, tu l’as compris. Comme un de tes semblables, un certain Nicolas Hulot, l’a dit : «L’homme est devenu une arme de destruction massive contre la nature». C’est sûr. Mais… attention, attention !» Le promeneur se retourne brusquement. Voit un bateau qui fonce sur lui. Trop tard. En se jetant sur le côté, l’homme endormi au pied d’un arbre s’est réveillé. Le tigre, le cacatoès, la tortue… Était-ce un rêve, un cauchemar ou la réalité ? Tandis qu’il dormait, comme chaque jour, cent espèces ont disparu de la planète à tout jamais.

Cet article est paru dans le magazine Télépro du 25/6/2020

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