Liebig : le coup de jus pour booster les ouvriers !

Extrait du documentaire «Faire l'Histoire» diffusé sur Arte © Arte/Les Films d'ici

Avec son extrait de viande, le baron Justus von Liebig (1803-1873), éminent chimiste, créa la première multinationale de l’industrie agro-alimentaire.

Liebig : tout le monde (ou presque) connaît ce nom ! Les jeunes pensent à la soupe en brique, leurs parents au cube-bouillon, les plus anciens à l’extrait de viande en sirop… Mais qui sait que le baron Justus von Liebig est le pionnier de l’industrie agro-alimentaire mondialisée ? Ce samedi à 18h15, le magazine «Faire l’histoire» revient sur l’étonnante épopée de la marque Liebig.

Poudre de perlimpinpin

Justus von Liebig naît en 1803 dans une petite ville d’Allemagne où son père est droguiste. Dès son plus jeune âge, le gamin est fasciné par les poudres de perlimpinpin garnissant la boutique. Il sera chimiste. Étudiant brillant, il décroche une bourse pour aller parfaire son cursus à Paris. Puis il rentre en Allemagne, où il est nommé professeur d’université. Liebig est le premier à créer un labo destiné à l’enseignement pratique de la chimie.

À l’inverse de ses confrères, il accorde peu d’intérêt aux théories et veut que la chimie s’applique aux besoins de la vie. Il met au point le chloroforme – bientôt utilisé en anesthésie -, et synthétise la mélamine, matériau qui fera fureur dans l’ameublement au siècle suivant. Justus s’intéresse aussi au lien entre l’agriculture, la production alimentaire et le fonctionnement du corps humain.

Ouvrier plus performant

En ce milieu du XIXe siècle, industriels et politiques s’intéressent à l’alimentation des travailleurs. Ils savent que pour augmenter la productivité de la main d’œuvre, il faut améliorer la qualité de sa nourriture. La viande renferme une énergie essentielle, mais les ouvriers n’en mangent pas tous les jours. Loin s’en faut.

Chez les chanceux, c’est le dimanche. Chez les autres, uniquement aux grandes occasions. Dans certaines familles, elle est même réservée aux hommes. Comment fournir plus de viande à moindre prix aux ouvriers ? Liebig a l’idée d’un extrait de viande : il la fait réduire pour obtenir un jus concentré en protéines animales.

Un circuit mondial

Au départ, le sirop de viande Liebig est vendu en droguerie, comme une médication. Jusqu’au jour où le chimiste est contacté par un compatriote vivant en Amérique du Sud. Là, on pratique l’élevage intensif de bovins dont le cuir est exporté vers l’Europe. Mais la viande, ne pouvant être conservée, est jetée. L’homme propose de la récupérer pour produire du sirop à l’échelle industrielle.

En 1865, ils fondent la société Lemco : Liebig’s Extract of Meat Company. Son siège est établi à Londres, la production a lieu en Uruguay. La marchandise arrive à Anvers, est contrôlée par Liebig à Munich, puis est commercialisée dans le monde entier. C’est la première multinationale agro-alimentaire.

En plus d’être un brillant chimiste et un entrepreneur audacieux, Liebig est un génie du marketing. Avec chaque pot d’extrait de viande, la ménagère reçoit des images à collectionner. Les produits Liebig s’imposent vite dans les foyers et sont toujours là un siècle et demi plus tard !

Made in Germany

L’aventure Liebig illustre bien l’impérialisme économique allemand de la fin du XIXe siècle. Alors que le pays avait mal démarré sa course à l’industrialisation, il connaît un formidable essor après la création de l’Empire allemand, en 1871. En 1887, excédée par la concurrence allemande, l’Angleterre impose pour tout produit venant de l’étranger de porter la mention «made in…». Objectif : inciter les Anglais à acheter des produits nationaux. Mais la mesure a l’effet inverse : le «made in Germany» devient un label de qualité ! Cette rivalité économique entre Teutons et Britons sera pour beaucoup dans le basculement vers la Grande Guerre…

Cet article est paru dans le Télépro du 20/5/2021

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