Marionnettistes, de père en fils…

L’Unesco a protégé l’«opera dei pupi» en l’inscrivant au patrimoine culturel immatériel mondial © Arte/SWR/CO2FILM

À Catane, ville de Sicile chargée d’histoire, la famille Napoli maîtrise l’art de la marionnette depuis plus d’un siècle.

Au pied de l’Etna, le théâtre de marionnettes des Napoli s’inspire des légendes locales et des récits épiques autour de Charlemagne et des Croisés. Le château érigé par l’empereur Frédéric II de Catane sert souvent de toile de fond à leurs spectacles. Rue Reitano, leur maison se situe près des forteresses. Une plaque commémorative y rend hommage à l’illustre aïeul, Natale Napoli.

Opera dei pupi

Fiorenzo, 67 ans, est l’actuel chef de famille. Avec sa femme Agnese, leurs trois fils, leurs trois petits-enfants, et d’autres frères et neveux, ils forment la joyeuse troupe des Frères Napoli. Autrefois, tout le monde vivait sous le même toit. La maison a été convertie en atelier : les marionnettes anciennes doivent être constamment rafistolées, comme les décors pittoresques.

Trois générations luttent pour la survie de leur «opera dei pupi» (théâtre de marionnettes). «Il est l’ancêtre des séries télé», affirme Fiorenzo dans un documentaire d’Arte, samedi à 18.00, intitulé «À Catane, la vie derrière les marionnettes». «Nous aimons nos marionnettes autant que si elles étaient nos propres enfants.»

Les Napoli confectionnent aussi des marionnettes sur commande pour les collectionneurs et orchestrent des workshops pour les amateurs passionnés.

Récits épiques

Grâce au témoignage d’un poète dialectal, Angelo Alfano, les historiens situent l’apparition des conteurs-jongleurs en Sicile dès le XVIe siècle. Sur toutes les places, s’accompagnant d’un bâton ou d’une épée, ils ont fait revivre en toute liberté la bataille de Roncevaux, l’héroïsme de Roland, la trahison de Ganelon… Cette littérature chevaleresque très populaire ainsi que la poésie italienne de la Renaissance ont alimenté le théâtre de marionnettes dont Palerme et Catane sont les deux berceaux. Leur art s’inspire aussi des tragédies grecques et du romanticisme.

Au début du XIXe siècle, les contes et légendes ont investi de petits théâtres familiaux. Les marionnettes catanaises ont la particularité d’être manipulées toujours par le haut. Les plus anciennes pèsent lourd, entre 30 et 35 kilos, et exigent plusieurs années de pratique afin d’intégrer toutes les techniques de mouvements. Des modèles plus petits et plus légers sont ensuite apparus.

Patrimoine culturel immatériel

Dès qu’un personnage sculpté en bois entrait en scène, le public le reconnaissait sur le champ à sa couleur, son armure, son casque et aux traits de son visage. Il applaudissait selon sa préférence pour l’un ou l’autre personnage et huait les méchants.

Symbolisant la lutte du bien contre le mal, les marionnettes défendent des valeurs et des idéaux. Et leurs maîtres exerçaient une véritable influence sur le public. Les Arabes, les Normands mais aussi les Grecs sont passés par la Sicile. Les marionnettes incarnent toutes ces origines diverses et variées. L’Unesco a protégé l’«opera dei pupi» en l’inscrivant au patrimoine culturel immatériel mondial.

Marionnettiste féministe

Même si leur heure de gloire est révolue depuis longtemps, les Napoli continuent de tisser un lien poétique avec le public en racontant, par exemple, la fameuse légende de Colapesce, un jeune homme audacieux qui aurait sacrifié sa vie pour sauver l’île… Les Napoli sont aussi fiers de leur prestigieuse histoire familiale et de la nonna, la grand-mère Italia Chiesa, devenue marionnettiste alors que cet art était réservé aux hommes. À chaque représentation, elle donnait la parole à des personnages féminins. Une révolution !

Cet article est paru dans le Télépro du 29/7/2021

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