«Maus» : des souris et des monstres

Art Spiegelman est le seul auteur de BD à avoir été honoré d’un Prix Pulitzer © Getty Images
Alice Kriescher Journaliste

Ce mercredi à 22h45 sur Arte, la réalisatrice Pauline Horovitz explore avec humour la manière dont le chef-d’œuvre de la BD, «Maus» d’Art Spiegelman, a révolutionné la transmission du récit de la Shoah.

Art Spiegelman (76 ans) est l’un des auteurs de bandes dessinées les plus importants de notre époque. L’artiste américain, né en 1948 en Suède, est, dès les années 1970, une figure de renom dans le milieu de l’illustration. En 1986, sa notoriété devient mondiale suite à la parution de sa BD «Maus». Au fil des pages de ce chef-d’œuvre devenu culte, c’est l’histoire de ses parents, rescapés d’Auschwitz, qu’il raconte, et celle des enfants de déportés vivant sous le poids d’une tragédie qu’ils n’ont pas vécue directement.

Dessiner l’indicible

C’est en 1980 que les premières planches de «Maus» paraissent dans Raw, une revue de bande dessinée alternative qu’Art Spiegelman dirige avec son épouse. Le pari est osé, «Maus» («souris» en allemand) se déroule dans l’enfer des camps d’extermination durant la Seconde Guerre mondiale.

Pour conter l’un des épisodes les plus sombres de notre Histoire, Art dessine les Juifs sous forme de souris et les nazis sous les traits de chats. Au milieu de la décennie, Art Spiegelman apprend que Steven Spielberg, inspiré par son travail dans Raw, planche sur un film d’animation mettant en scène une famille de souris russes qui, de plus en plus menacée par les félins, décide d’émigrer aux États-Unis…

Cette information le décide à rassembler ses planches sous forme de livre, mais il peine à trouver un éditeur. À l’époque, deux maisons, porte-drapeau d’un genre bien différent de l’underground artistique pratiqué par Spiegelman, tiennent le marché : Marvel et DC Comics. Au regard du grand public, la BD est une affaire de super-héros, destinée aux ados, que la plupart des adultes méprisent.

Récompense inédite

La maison d’édition Pantheon Books accepte finalement d’accompagner l’auteur dans l’aventure. En 1986, «Maus : un survivant raconte», édité en français sous le titre «Mon père saigne l’histoire», est publié. Le succès en librairie est immédiat. En 1991, les cinq derniers chapitres font l’objet d’un second tome, «Et c’est là que mes ennuis ont commencé.» «Maus» devient un best-seller international, traduit en plus de trente langues. L’année suivante, Art Spiegelman reçoit le Prix Pulitzer qui honore chaque année les meilleures productions littéraires, musicales et journalistiques aux États-Unis. C’est la première fois et, à ce jour, la seule, qu’un auteur de bande dessinée reçoit cette récompense.

Prisonnier de son œuvre

Aujourd’hui, si vous avez la chance de croiser Art Spiegelman, évitez toutefois de l’interroger sur son ouvrage majeur, il est lassé de converser à ce sujet. «Je ne veux pas être ce mec poursuivi par une souris de 250 kilos. Si vous jetez un œil sur mon travail, vous constaterez que celui-ci ne parle pas uniquement d’Auschwitz, mais aussi du 11 Septembre, de nombreux sujets politiques, de mon existence dans le monde actuel», explique-t-il au Monde. «Je sais que ‘Maus’ me poursuivra jusqu’à ma mort. J’ai donné des centaines d’interviews sur cette œuvre. Il est important pour moi de pouvoir respirer.»

Cet article est paru dans le Télépro du 28/3/2024

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