Pierre Rabhi : «Notre système ne fonctionne plus !»

Au sujet de la crise sanitaire qui paralyse le monde, Pierre Rabhi souligne : «C’est une anomalie (qui) devrait être suffisamment significative et instructive pour nous aider à méditer.» © Isopix

Invité dimanche à 20h35, sur La Trois, dans le taxi de Jérôme Colin, le philosophe observe la réalité avec lucidité, mais sagesse.

Agriculteur, écrivain et philosophe français d’origine algérienne, Pierre Rabhi (82 ans) est l’un des pionniers de l’agroécologie et expert international. Son but ? Créer une société plus respectueuse de l’homme et de la Terre, encourager le développement de pratiques agricoles accessibles à tous, pour restaurer l’autonomie alimentaire. Dans l’un de ses récents livres «J’aimerais tant me tromper», il résume ses inquiétudes : «J’aimerais tant me tromper quand je diagnostique l’état de la planète, de notre civilisation, de l’humanité des hommes.»

Destin et déchirures

Né en mai 1938, en Algérie, le petit Rabah a grandi dans un village qui fut longtemps un lieu propice à la prière et à la méditation. Mais lorsqu’on y trouve du charbon, il se mue en pôle industriel. Le garçonnet découvre alors la nature abîmée par les hommes. Là n’est pas son seul drame. Orphelin de mère à 4 ans, il est confié à un couple français. Et grandit entre un ingénieur et une enseignante. Son père est persuadé que c’est pour lui une chance de s’ouvrir au monde. Même si cela créera des tensions – Rabah, musulman, devient Pierre et se convertit au catholicisme -, cette aventure deviendra en effet un véritable destin. Parti pour Paris, le jeune homme explique : «J’ai trouvé dans l’Évangile quelque chose de tout à fait différent : la proclamation que l’amour peut être la seule source d’énergie pour sauver le monde.» En France, il croise sa future femme, mais aussi un médecin écologiste qui lui fait découvrir la verte splendeur de l’Ardèche.

La Terre Mère

En 1960, le couple s’y installe dans une ferme, élève ses cinq enfants, travaille la terre avec respect. L’immigré algérien devient un agro écologiste passionné. Et reconnu. À partir des années 1980, il partage son point de vue dans des livres accessibles à tous. Son approche de l’agriculture est autant philosophique que scientifique. Il prône la «réconciliation entre les hommes et la Terre Mère», appelle à une «insurrection des consciences pour arrêter de faire de notre planète un enfer de souffrance et de destruction.» Créant des associations, dont le Mouvement Colibris et Terre & Humanisme, qui aident agriculteurs et producteurs, ce partisan de l’altermondialisation tient des discours clairs : «Il y a une sorte d’inconscience, nous nous sommes transformés en une modernité aveugle, nous ne nous intéressons qu’au gain financier. Le chômage est l’un des indicateurs que le système ne fonctionne plus. Je fais le constat d’une société en échec, vaniteuse, où le vivre ensemble n’existe plus, où les êtres humains se « divinisent » vis-à-vis de la nature et se replient sur eux-mêmes pour se protéger de l’autre…»

Urgence (presque) irréversible

Le philosophe auteur de «La Sobriété heureuse» répète inlassablement ses conseils : «Chaque individu doit essayer de mieux se connaître afin d’évoluer de manière positive. Plus les gens changeront en embrassant la charité, la générosité, le respect de la vie, plus nous aurons de chances d’améliorer la société.» Jeudi 16 avril, il a conclu sur La Première («Entrez sans frapper») au sujet du covid-19, venu se greffer sur une réalité déjà fragile : «C’est une anomalie terrible à laquelle nous ne nous attendions pas. Elle devrait être suffisamment significative et instructive pour nous aider à méditer. (…) Il faut d’urgence prendre conscience de notre inconscience. Nous sommes dans des dérives qui sont peut-être encore réversibles, mais qui risquent, en persistant, de devenir irréversibles !»

Cet article est paru dans le magazine Télépro du 23/4/2020

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