«Pour agir, changez de banque…»

«La Terre et le monde ne forment plus désormais qu’une seule entité», nous explique François Gemenne © Getty

Lundi à 21h05 avec le documentaire «Au nom du progrès», La Trois décrypte minutieusement notre course au développement et l’avènement de l’anthropocène.

L’impact irréversible de l’homme sur la nature a fait entrer la Terre dans une nouvelle période géologique : l’anthropocène ou l’ère de l’homme. François Gemenne, professeur géopolitique de l’environnement à l’Université de Liège et coauteur de l’ouvrage «Atlas de l’anthropocène», nous explique ce que cela implique.

Comment définir l’anthropocène ?

C’est la nouvelle période géologique dans laquelle nous serions désormais et qui succède à l’holocène, dans laquelle nous étions au cours des 12.000 dernières années. Ce qui caractérise cette période géologique nouvelle, qui se traduit littéralement par «l’âge des humains», c’est que nous sommes désormais devenus les principales forces de transformation de la planète. En d’autres termes, il est désormais possible de voir l’empreinte humaine dans les couches sédimentaires de la Terre elle-même.

L’anthropocène n’est pas qu’un terme géologique…

Non, l’anthropocène a une définition politique qui me semble très importante. C’est l’idée que la Terre et le monde ne forment plus désormais qu’une seule entité. Avant, on avait tendance à les séparer. La Terre était la planète sur laquelle on habitait, le monde en était l’organisation politique et sociale. Longtemps, on a fait comme si rien de ce qui se passait dans le monde ne pouvait vraiment avoir d’influence sur la Terre. On se rend compte qu’on s’est fondamentalement trompés et que les deux sont liés. 

Pourquoi avoir choisi ce thème pour votre «Atlas» ?

Les problématiques environnementales sont présentes de façon éparse dans l’actualité. L’intérêt d’un concept comme l’anthropocène pour un Atlas, c’est précisément de montrer à quel point ces différents sujets sont reliés les uns aux autres.

À qui incombe la responsabilité de cette situation ?

La responsabilité est très diffuse. Certains vont pointer les entreprises comme responsables, en oubliant que les entreprises ont des consommateurs. D’autres vont pointer les gouvernements, en oubliant que ces gouvernements ont des électeurs. Au cœur de l’anthropocène, il y a plutôt une question d’inégalité. À la fois entre le nord et le sud, mais aussi au sein même de nos sociétés.

Quel est le geste écologique le plus fort que nous puissions réaliser ?

Les petits gestes du quotidien sont importants. Cependant, en général, nous ignorons où notre empreinte carbone se situe réellement. Par exemple, en Belgique, où le taux d’épargne est très fort, l’essentiel de l’empreinte carbone se trouve dans leur compte en banque, puisque les banques investissent leur argent en finançant les énergies fossiles. Entre 2016 et 2019, les trente-cinq plus grosses banques mondiales ont financé des projets d’investissement dans les énergies fossiles pour 27.000 milliards de dollars. Donc un geste important est de demander à sa banque d’investir dans des projets non carbonés ou tout simplement de changer de banque.

La pandémie a poussé les gouvernements à prendre des mesures fortes. Est-ce encourageant ?

En effet, des mesures radicales, urgentes et surtout extraordinairement coûteuses ont été prises par les gouvernements. Et pourquoi ? Parce qu’on a vu les morts à nos portes. Tant que le virus était en Chine, on le considérait comme une petite grippe qui n’allait pas nous atteindre. Pour le changement climatique, c’est un peu la même chose, on a tendance à le considérer comme quelque chose de lointain. La leçon à retenir, c’est qu’il faut insister davantage sur les impacts humains qu’il va avoir.

À lire : «Atlas de l’anthropocène», Presses de Sciences Po, François Gemenne et Aleksandar Rankovic.

Cet article est paru dans le magazine Télépro du 28/5/2020

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici