
Non, les journaux et les chaînes de télé ne sont pas des tribunaux où l'on juge la vie d'un être humain entre deux pages de pub. Mais cela n'empêche pas les journalistes de mener des enquêtes sérieuses et de jouer leur rôle de contre-pouvoir.
Élise Lucet le soulignait elle-même jeudi soir sur France 2, en marge d'un reportage qui donnait la parole à des femmes qui se disent victimes d'abus sexuels de la part de Nicolas Hulot. Dans de telles circonstances, les médias subissent souvent un bashing, et sont accusés de se substituer aux procureurs et aux juges.
Ça a d'ailleurs été le premier réflexe de l'ex-présentateur du magazine «Ushuaïa» (TF1), également figure tutélaire de l'écologie politique en France, qui connaît pourtant bien les règles du jeu. Et sur les réseaux sociaux, bon nombre d'internautes abondent dans son sens.
C'est oublier le rôle de contre-pouvoir que jouent les journalistes. Quand un des trois pouvoirs (politique, législatif ou judiciaire) dysfonctionne, c'est à la presse (surnommé quatrième pouvoir) de dénoncer les défaillances. C'est l'un des fondements de la démocratie, et une garantie pour le citoyen dans un État de droit.
Bien sûr, certains ont parfois dérapé. On pense évidemment aux mots terribles prononcés par François Mitterrand lors du suicide de Pierre Bérégovoy en 1993 : «l'honneur d'un homme livré aux chiens». La presse n'est pas exempte de tous reproches, surtout dans la course au sensationnalisme.
Mais dans le cas qui nous occupe, l'enquête (journalistique) aura duré quatre ans, avec un long travail de recoupement des infos. Et jusqu'à preuve du contraire, la qualité du travail de l'équipe d'«Envoyé spécial» n'est plus à prouver.
Les parquets et tribunaux estiment qu'il y a prescription ? Ce n'est pas pour ça que les journalistes doivent arrêter d'enquêter, si de nouveaux élément émergent !
Faute d'éléments concrets, l'instruction se conclut par une insuffisance de preuves ? Les victimes isolées n'osent pas se plaindre à un policier ? Grâce au mouvement #MeToo, les langues se délient depuis quelques années, et la concordance des témoignages estompe les doutes.
Quoi qu'il en soit, ceci ne restera pas sans suite : ce vendredi, en réaction à l'émission, la justice française a ouvert une enquête préliminaire pour viol et agression sexuelle. Les investigations «s'attacheront à déterminer si les faits dénoncés peuvent caractériser une infraction pénale et si, au vu de leur ancienneté, la prescription de l'action publique est acquise», a expliqué la procureure de Paris.
Le travail d'«Envoyé spécial» n'aura pas été vain.
Julien Vandevenne
Rédacteur en chef adjoint