La naissance d’un mouvement pictural révolutionnaire et rebelle dans un documentaire solaire, à voir lundi soir sur La Trois.
15 avril 1874, boulevard des Capucines à Paris. Dans l’atelier du photographe Nadar, une trentaine de jeunes peintres, autour de Claude Monet et d’Edgar Degas, présentent au public plus de cent cinquante de leurs œuvres. En cette fin de siècle bouillonnante, ce groupe d’artistes ose pour la première fois une exposition indépendante. Loin du classicisme de l’époque et sous l’œil goguenard des critiques artistiques. L’impressionnisme, cet art de la rapidité et du flou, est né. Ce splendide et lumineux docu-fiction d’Hugues Nancy et Julien Johan revient sur les années qui ont précédé ce moment charnière de l’histoire de l’art. À ne manquer sous aucun prétexte !
Hugues Nancy et Julien Johan, vous êtes plutôt spécialisés dans les sujets sociétaux, historiques ou politiques.
Hugues Nancy : Je n’envisageais pas un film classique avec les commentaires de conservateurs, de spécialistes, d’historiens de l’art entrecoupés de reconstitutions, çà et là, pour raconter cette fabuleuse histoire. Mon idée était d’immerger le téléspectateur dans le XIXe siècle… Je savais que Julien aimait la reconstitution, la fiction, et que c’était un challenge qu’il pouvait relever. Quant à moi, j’aime raconter des histoires.
Comment vous êtes-vous réparti le travail, justement ?
Julien Johan : Nous avons écrit ensemble le scénario. Hugues a fait la plus grande partie de la recherche historique, moi je l’ai aidé à établir le récit. Il fallait être rigoureux. Ensuite, il a fallu gérer un plateau avec neuf ou dix acteurs, des techniciens. Nous n’étions pas trop de deux.
En fait, c’est un travail à quatre mains…
J.J. : Oui, jusqu’au montage, que nous avons fait ensemble, le travail de graphisme autour des peintures, pour les mettre en valeur… Ce documentaire historique, immersif et pédagogique nous a pris un an. Ce délai fut très dense !
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans ce mouvement pictural ?
H.N. : Le fait que le terme « impressionnisme » est né d’une moquerie. Le critique Louis Leroy a utilisé ce terme de manière péjorative pour qualifier l’exposition des peintres impressionnistes en 1874, partant du tableau de Monet « Impression, soleil levant ».
J.J. : J’ai aussi découvert que Monet, Sisley, Bazille, Renoir s’étaient retrouvés dans le même atelier de jeunes apprentis peintres à Paris, qu’ils détestaient leurs profs, que Degas et Cézanne étaient dans ce même groupe, dans cette même exposition…
Berthe Morisot est la plus connue parmi les impressionnistes. Les femmes étaient pourtant nombreuses dans ce mouvement pictural, mais elles semblent oubliées.
J.J. : Quand on a lu tous les livres d’histoire de l’art, après 1874, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, jusqu’aux années 1970, elle est à peine citée. Il a fallu attendre les travaux des historiennes américaines, féministes, pour la découvrir. C’est vrai qu’elle a été invisibilisée. Il faut dire aussi qu’on n’achetait pas la peinture des femmes. Elle n’a donc pas circulé…
Où a été tourné le documentaire ?
J.J. : Notre ambition, c’était de proposer un voyage dans la France du XIXe siècle. Le documentaire a été tourné dans le château de Rosa Bonheur (1822-1899) – qui n’était pas impressionniste ! – à Thomery, près de Fontainebleau, en Seine-et-Marne. Elle y avait fait construire quatre ateliers, un pour chaque saison. On a pu louer le château, ce qui fait qu’on a eu, pour décor, quatre ateliers qui étaient encore dans leur jus du XIXe siècle.
Il a fallu le réaménager…
H.N. : Oui. Et notamment enlever tous les tableaux de cette peintre qui a fait fortune grâce à ses toiles (une rareté à l’époque !) pour placer ceux de nos impressionnistes. L’ombre tutélaire de cette femme qui s’est imposée, était en rébellion avec la société, vivait avec une femme, sa compagne… nous rappelait toujours les difficultés et le combat qu’ont été ceux de Berthe Morisot pour réussir. Bien que les autres membres du groupe l’aient acceptée sans aucun problème. À partir du moment où elle est compétente, talentueuse et dans leur style, elle était la bienvenue.