Caracalla : «Tous citoyens !»

Caracalla © De Agostini via Getty Images
Stéphanie Breuer Journaliste

En l’an 212, Caracalla accorde la citoyenneté romaine à tous les habitants libres de l’Empire. Un sujet évoqué ce dimanche à 13h sur Arte dans «Quand l’histoire fait dates».

Le nom de Caracalla (188-217), dont la mémoire collective a gardé l’image d’un empereur fou, est surtout connu pour les thermes somptueux qu’il a fait construire à Rome et dont les touristes peuvent encore arpenter les ruines. Mais son principal fait d’armes est l’édit qui porte son nom et accorde la citoyenneté romaine à tous les habitants de l’Empire romain. Une loi impériale pourtant peu évoquée dans les sources antiques. Explications.

Tyran sanguinaire

Fils de Septime Sévère, Marcus Aurelius Severus Antoninus Augustus – connu sous le sobriquet de Caracalla, du nom du manteau gaulois qu’il aimait porter – devient empereur en 211. « Lorsqu’il accède au pouvoir, Caracalla s’inscrit dans le portrait collectif des César fous de son temps », raconte Patrick Boucheron sur Arte. « Il en a toute la panoplie : il viole des vestales, il tue son frère, il aurait même hâté la mort de son père… Et ça ne fait que commencer, la liste de ses méfaits est immense. La postérité gardera pour l’essentiel de Caracalla cette légende noire d’un tyran sanguinaire. »

Une copie de l’Édit de Caracalla nous est parvenue via un papyrus découvert en Égypte et conservé à Giessen, en Allemagne © picture alliance via Getty Images

Néanmoins, Caracalla prend, en 212, une décision capitale avec la Constitution antonine : il accorde à tous les habitants libres du monde romain la tant convoitée citoyenneté romaine. En sont exclus les esclaves et les « déditices », soit d’anciens ennemis de Rome installés dans l’Empire après avoir rendu les armes. Auparavant, la citoyenneté romaine se transmettait essentiellement par hérédité (par filiation ou adoption). Elle pouvait aussi s’acheter ou s’obtenir après plus de vingt ans de service dans l’armée. Ainsi, « la citoyenneté perd sa valeur symbolique pour les provinciaux qui avaient précédemment à cœur de l’obtenir par leurs mérites et leur travail », peut-on lire sur Herodote.net. « C’est un motif de fidélité à l’Empire qui s’efface. »

Objectif fiscal ou religieux ?

Quel était l’objectif poursuivi par cet édit ? « Cet acte de la chancellerie impériale, si important à nos yeux, en raison sans doute des enjeux de notre époque, est pratiquement absent des sources », constate pourtant Yann Rivière dans « Tous citoyens ! » (L’Histoire). « Et ses raisons sont discutées. L’historien Dion Cassius, un contemporain de Caracalla, ne le mentionne que brièvement pour stigmatiser l’avarice de l’Empereur qui aurait vu là le moyen d’étendre le prélèvement de taxes sur les héritages et les affranchissements. » En effet, les nouveaux citoyens, s’ils bénéficient de droits (contracter un mariage, porter les trois noms…), sont désormais soumis à l’impôt sur les successions. Autre avantage économique : cette uniformisation des statuts allège la tâche des administrations. Pourtant, pour de nombreux historiens, la motivation principale de l’Empereur serait religieuse : honorer les dieux romains en rassemblant le plus grand nombre de citoyens sous un même culte.

Après 212, les nouveaux citoyens s’empressent de faire état de leur statut – le gentilice (le 2e nom des trois noms romains) de l’Empereur est adopté en masse – et un sentiment d’appartenance à Rome se développe dans la population, même dans la partie orientale dont la culture est grecque. Ainsi, comme l’écrit Maurice Sartre dans « Vous serez tous citoyens romains ! » (L’Histoire), « il n’est pas illégitime de se demander si la Constitution de Caracalla ne présente pas l’amorce possible d’une transformation d’un empire pluriethnique et multiculturel en ce qui aurait pu être une préfiguration de l’État-Nation. »

Cet article est paru dans le Télépro du 9/10/2025

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