Histoire de l’alimentation : dis-moi ce que tu manges…

Certaines épices que nous découvrons aujourd’hui étaient déjà bien connues et appréciées au Moyen Âge et marquaient le rang social © Getty Images

Quand l’humanité se met à table : l’Histoire se lit aussi dans les assiettes, de la Préhistoire à nos jours.

« Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es. » Cette maxime imaginaire, calquée sur celle de l’écrivain allemand Johann Wolfgang von Goethe (« Dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu es »), s’adapte parfaitement au monde de l’alimentation. Elle traduit à merveille une réalité planétaire : l’histoire de l’humanité s’écrit aussi dans l’assiette. « La table est comme une scène sur laquelle je présente qui je suis et ce que je suis », déclare un spécialiste dans le documentaire «Une histoire de l’alimentation», proposé ce samedi à 20h55 sur Arte. Mais la nourriture, c’est aussi un marqueur social et politique : manger, c’est dominer. De la Préhistoire à nos jours, l’histoire de l’alimentation éclaire l’évolution de l’humanité. Pierre Leclercq est historien de l’alimentation et collaborateur scientifique à l’Université de Liège. Pour Télépro, il accepte de se mettre à table. À la carte : son regard sur l’alimentation et la gastronomie de la Préhistoire à nos jours. Un sacré menu à prendre sur le pouce.

La grande bouffe

« Les hommes mangent en moyenne trois fois par jour. C’est nécessaire à leur survie. On peut donc aisément imaginer le rôle fondamental de l’alimentation dans l’Histoire », explique Pierre Leclercq. Pour l’historien, le fil rouge de notre civilisation urbaine, c’est l’évolution de l’agriculture. Chaque grande étape de l’évolution des villes a été précédée et accompagnée de grandes transformations des méthodes culturales. « Les grands essors des villes sont intimement liés à une révolution agricole. La dernière (la deuxième révolution agricole moderne, vers 1950), a permis une explosion des villes. Grâce aux machines, la productivité a été multipliée par 200. » Les conséquences de cette augmentation de la productivité agricole sont capitales. « Il y a quelques siècles, 90 % de la population travaillaient dans les champs pour nourrir tout le monde », précise Pierre Leclercq. « Aujourd’hui, seuls 2 % sont encore véritablement paysans. » L’augmentation de la productivité va considérablement transformer notre société. « Cela a libéré du temps pour l’enseignement, la science, tout ce qui n’est pas alimentation. C’est colossal. On a souvent l’impression que tout s’accélère mais il y a six siècles, qui était scientifique ? Peu de monde. »

Pas de M. Ouille à table

L’alimentation est un marqueur social depuis longtemps. Au Moyen Âge, par exemple, les aliments les plus élevés sont réservés à la noblesse et au clergé. Dans la hiérarchie, les mieux cotés sont les animaux à plumes, capables de voler et donc de s’approcher de Dieu… Notre historien explique : « Le rôti ou le pâté de cygne, revêtu de son plumage le plus majestueux, est servi à la table du prince, table à laquelle on occupe une place en fonction de sa position sociale (le clergé près du prince, un duc n’est pas un baron, etc.). Ce qui vous est servi est aussi fonction de votre rang dans la hiérarchie de la société. Au banquet princier, pas de Jacquouille la Fripouille (Rires). ». Aujourd’hui, le roi Philippe mange la même chose que tous les invités assis à sa table, mais on continue à marquer l’appartenance sociale par le régime alimentaire. Caviar, truffes, vins fins : payés à des prix astronomiques, les produits les plus chers sont aussi utilisés par l’hôte pour attester d’un portefeuille bien garni auprès de ses invités.

Aurions-nous aimé ?

Si nous prenons la cuisine dans nos régions, dans la haute cuisine (les informations sur la nourriture du peuple sont très rares) de l’Antiquité et du Moyen Âge, les goûts étaient très raffinés. « Ces recettes, quand nous les goûtons aujourd’hui, nous surprennent car elles nous rappellent la cuisine exotique que nous découvrons maintenant », ajoute Pierre Leclercq. « Pour nos grands-parents, le gingembre dans la cuisine, c’était un peu de la science-fiction, alors que pour un seigneur du Moyen Âge, mettre du gingembre, de la cannelle, de la noix de muscade, du cumin, du sucre dans la même recette, pour un poulet par exemple, c’était de bon goût. Nous le redécouvrons aujourd’hui. » Et qu’auraient apprécié nos ancêtres dans la cuisine actuelle ? Réponse de notre spécialiste : « Si on leur présentait un plat d’un étoilé, les seigneurs seraient peut-être un peu surpris par l’un ou l’autre goût, mais je ne pense pas qu’ils seraient effrayés. Et peut-être même demanderaient-ils qu’on rajoute un peu d’épices (Rires). »

Cet article est paru dans le Télépro du 4/9/2025

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