La culture selon le singe, la mésange et la baleine

Les baleines sont capables d’apprendre les chants de congénères venus d’autres horizons © AFP via Getty Images

Ils ne vont pas au théâtre, ne fréquentent pas les galeries d’art ni les musées, et pourtant… Nombre de nos « co-loca Terre » animaux font eux aussi leur bouillon de culture. Arte s’intéresse ce lundi après-midi à la culture chez les animaux.

1953, île de Koshima, sud-est du Japon. Des primatologues de l’université de Kyoto observent un groupe de singes des neiges, les emblématiques macaques des forêts montagneuses. Pour attirer les primates, l’une des chercheuses dépose des patates douces. Elle est témoin d’une scène étonnante. Une jeune femelle s’empare d’un des appâts, prend la direction du ruisseau et… nettoie la nourriture de ses grains de sable. Dans les jours et les semaines qui suivent cette première observation, les scientifiques constatent que des camarades de jeu de la femelle copient sa façon de faire, puis c’est au tour de la mère, puis d’autres et encore d’autres : le comportement devient une « tradition » chez les macaques de l’île. Comme l’indique OpenEdition Journals, une plateforme de revues en sciences humaines et sociales, « à une époque où les scientifiques occidentaux débattaient pour savoir si les comportements dépendaient d’apprentissages ou d’instincts, ces observations apportent les premières pierres à l’édifice des études portant sur les cultures animales ». Le débat sur l’évolution culturelle est lancé.

L’affairedes mésanges

Dans leur étude « Do animals have culture ? » (« Les animaux ont-ils une culture ? »), les scientifiques britanniques Kevin Laland et William Hoppitt donnent leur définition de la culture. « On entend par culture l’ensemble des « acquis » (savoirs ou comportements) que les individus (humains ou non) sont capables de transmettre aux autres, processus qu’on appelle l’apprentissage social. »

L’étude de la transmission culturelle d’une innovation chez les animaux commence au début du XXe  siècle. 1921, Swaythling, une petite ville du sud de l’Angleterre. Les laitiers ont l’habitude de déposer les bouteilles devant les portes des clients. Après quelque temps, ils remarquent que les opercules sont percés et les bouteilles renversées. Les coupables : les mésanges. Aussi multicolores que sociaux et voyageurs, les petits oiseaux s’empressent de communiquer leur « modus operandi » à d’autres congénères. Les braquages se propagent à tout le pays. Vingt-six ans plus tard, trois cent cinquante lieux sont touchés. Comment ? « Par apprentissage social », conclut une étude publiée en 2013.

Transmissions

Dans son livre « Les animaux ont-ils une culture ? » (EDP Sciences), Damien Jayat rappelle que « la culture n’est pas simple à expliquer, mais on peut essayer de la définir comme un comportement ou une pratique spécifique à une population. Ce qui veut dire que, dans une espèce donnée, plusieurs populations différentes ont des cultures différentes. » Culture dictée par des innovations, des coutumes arbitraires (les chimpanzés qui se serrent la main à un endroit, mais pas 50 km plus loin), par des déplacements géographiques aussi. L214, association de défense des animaux, évoque l’évolution du chant de certains cétacés en Australie. Chaque groupe de baleines à bosse a son dialecte. « À la suite d‘une migration de quelques individus, toutes les baleines de la côte ouest ont adopté le chant des baleines de la côte est. » Les lieux de ponte ou de reproduction chez les poissons ? « Ils sont souvent transmis d’une génération à l’autre. » De la mère aux enfants chez les chimpanzés qui fabriquent des outils pour puiser des insectes dans les fourmilières, des pères aux fils pour les chants locaux de certains oiseaux.

« De plus en plus d’études démontrent l’existence de cultures animales et de transmissions sociales au sein d’une même espèce », explique la revue Carnets de science. Une culture animale parallèle à la culture humaine ? La docteure en Écologie Déborah Federico a cette réflexion : « Bien que la culture humaine soit certainement singulière, il semblerait que ses bases soient partagées avec d’autres espèces. »

Cet article est paru dans le Télépro du 1er mai 2025.

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