Un nouveau Champollion déchiffre l’élamite linéaire

Détail de signes en écriture élamite linéaire inscrits sur une vase kunanki en argent du grand likawe (ou roi) Pala-ishan, vers 1900 av. J.-C. © Les Films d’Ici
Rodophe Masuy Journaliste

Comment un archéologue a réussi à redonner voix à une civilisation oubliée en Iran. Un travail de patience et de flair digne d’une enquête policière, évoqué ce samedi à 22h25 sur Arte dans le documentaire « À la recherche de l’écriture oubliée ».

Au commencement était la parole. Puis la parole s’est faite signes, tracés et gravures. L’invention de l’écriture, il y a près de 5.300 ans au Proche-Orient, a bouleversé le destin de l’Humanité. Les hommes ont ressenti le besoin de fixer leurs échanges là où naissaient les premières villes.

Une énigme millénaire

Deux des trois plus anciennes écritures ont été déchiffrées dès le XIXe siècle : les hiéroglyphes égyptiens et le cunéiforme mésopotamien. Restait une énigme, celle de l’élamite linéaire, apparue il y a plus de 4.000 ans. Pourquoi « élamite linéaire » ? Parce que cette écriture était utilisée dans l’Élam, une civilisation antique située dans le sud-ouest de l’Iran actuel. Linéaire, car ses signes sont tracés sous forme de lignes droites et anguleuses.

Travail de déchiffrement et lecture d’une tablette en écriture élamite linéaire remontant au 3ème millénaire av. J.-C. © Les Films d’Ici

Mais pour parvenir à la déchiffrer, il fallait un nouveau Champollion, comme celui qui avait décodéles hiéroglyphes. Les archéologues ont donc dû se comporter en véritables enquêteurs pour découvrir des secrets réputés inviolables. Car l’élamite linéaire n’offrait ni clé, ni équivalent connu. Pas de pierre de Rosette comme pour Champollion, seulement quelques dizaines d’inscriptions gravées sur des jarres, des tablettes ou des vases, mais rien qui permette d’aller plus loin. Jusqu’à ce que le Français François Desset s’en empare.

L’effet domino

L’archéologue a consacré plus de dix ans de sa vie à cette quête, dont sept passés en Iran, au plus près de ce peuple oublié.

François Desset

En 2017, il connaît un véritable déclic : sur un vase en argent, il parvient à lire le nom d’un roi, Shilhaha, qui régna vers 1950 av. J.-C. À partir de là, l’effet domino s’enclenche. Des noms de souverains apparaissent, des signes prennent une valeur phonétique, des formules récurrentes se révèlent. « C’est un peu comme si on avait enfin trouvé la clé d’un coffre-fort dont on ignorait le contenudepuis des millénaires », résume-t-il. Peu à peu, une découverte majeure s’impose : l’élamite linéaire est un système d’écriture purement phonétique, avec 77 valeurs sonores, bien plus économe et précis que ses contemporains mésopotamiens ou égyptiens. Ce qui bouleverse l’histoire de l’écriture. Mais la tâche reste immense, et chaque signe gravé est une nouvelle pièce du puzzle à assembler. De quoi captiver autant les passionnés d’Histoire que les amateurs d’énigmes.

Les chercheurs ont d’abord isolé des séquences répétitives, probablement des titres royaux. Ils les ont confrontées aux noms connus des rois élamites et ont testé des hypothèses grâce à l’informatique et à la modélisation 3D.

Une quête

En novembre 2020, à 38 ans, François Desset officialise sa découverte aux côtés de collègues iraniens et européens. Il devient alors le premier chercheur depuis Michael Ventris (le déchiffreur du linéaire B grec en 1952) à réussir un tel exploit. D’où son surnom de « Champollion moderne ». Il expliquera que les grandes découvertes naissent de la persévérance : « J’ai pourtant passé des années à douter, à me dire que je n’y arriverais jamais. »

Derrière cette prouesse, c’est une civilisation entière qui reprend vie après des millénaires de silence. Les Élamites, contemporains des Babyloniens et des Sumériens, ont longtemps été éclipsés faute de textes lisibles. Les inscriptions traduites aujourd’hui racontent leurs rituels, leur organisation politique, leurs croyances.
L’aventure n’est peut-être pas finie. François Desset rêve désormais de déchiffrer le proto-élamite, une écriture encore plus ancienne. S’il réussit, il pourrait littéralement remonter aux balbutiements de l’écriture humaine. 

Cet article est paru dans le Télépro du 25/9/2025

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