Fondateur de la Turquie moderne, édifiée sur les décombres fumants de l’Empire ottoman, Mustafa Kemal a gagné son surnom de « père des Turcs ».
Sur les places publiques, dans les administrations, dans les écoles, sur les billets de banque… Près de 90 ans après sa mort d’une cirrhose du foie, Mustafa Kemal (1881-1938), mis à l’honneur samedi à 21h50 sur La Trois, est toujours omniprésent dans la République turque qu’il a fondée il y a plus de 100 ans, en octobre 1923. Il est même interdit de l’insulter publiquement sous peine d’une lourde sentence.
C’est à Salonique (actuelle Thessalonique), ville la plus cosmopolite des Balkans, que débute le parcours de Mustafa Kemal, qui, à 12 ans, choisit de s’inscrire à l’école militaire. À l’époque, l’Empire ottoman, vieux de six siècles et qui a longtemps enjambé l’Afrique, l’Asie et l’Europe, a perdu de sa superbe, il est alors « le vieil homme malade de l’Europe ». Lors de la Première Guerre mondiale, Kemal, devenu général, s’illustre en remportant la bataille des Dardanelles, n’empêchant toutefois pas une défaite finale en novembre 1918.
Guerre d’indépendance
Le sort de l’Empire ottoman, vaincu et en pleine déliquescence, se joue à Sèvres, près de Paris. Le traité, qui y est signé en 1920, démantèle le territoire du sultan Mehmed VI au profit de ses voisins, des minorités (kurde et arménienne) et des puissances occidentales victorieuses. Fort d’une armée de 35.000 hommes, Kemal fonde, depuis Ankara, un gouvernement parallèle et se lance dans une guerre d’indépendance qui s’achève avec l’incendie de la ville de Smyrne (actuelle Izmir) et le massacre de ses occupants chrétiens.
Devenu le Gazi (« le Victorieux »), Mustafa Kemal est bien décidé à obtenir un nouveau traité. Il y parvient et le traité de Lausanne, signé en 1923, donne naissance à la Turquie moderne, désormais libre, souveraine et indépendante. Dans cette nouvelle République proclamée, Mustafa Kemal est le seul prétendant légitime pour succéder au sultan, qui a fui à bord d’un cuirassé britannique.
Place à la laïcité
Face au constat que l’islam a échoué comme civilisation, Kemal (qui voit l’islam comme « un cadavre putréfié qui empoisonne nos vies ») est persuadé qu’il faut s’en affranchir et entreprend de moderniser, laïciser et occidentaliser son pays. La charia et les tribunaux islamiques sont supprimés et l’enseignement devient laïque, mixte et obligatoire. Résolu à faire le bien des Turcs malgré eux, le nouveau président inaugure une période autoritaire en supprimant tout ce qui rapproche son peuple de son passé ottoman : le fez (le chapeau traditionnel), le calendrier, la fermeture hebdomadaire du vendredi (remplacée par le dimanche), le salam islamique (remplacé par la poignée de main)… Sa réforme la plus radicale est sans doute la révolution des signes, soit le passage à l’alphabet latin. Du jour au lendemain, 14 millions de Turcs doivent réapprendre à lire et à écrire ! Enfin, en féministe convaincu – sans descendance biologique, il adopte d’ailleurs huit filles -, il comprend que l’émancipation des femmes est signe de progrès : il leur accorde le droit de vote et d’éligibilité. En Europe, la presse parle de « miracle turc ».
De général des Dardanelles à Gazi de l’indépendance, Kemal devient, au crépuscule de sa vie, Atatürk, le père des Turcs. Son dernier geste fort, en 1937, un avant sa mort, est d’inscrire la laïcité dans la Constitution, une première pour un pays musulman. Un principe aujourd’hui remis en cause par le retour d’un islam politique et identitaire dans le pays…
Cet article est paru dans le Télépro du 5/6/2025