Le Brexit devait rendre sa liberté et sa puissance à la Grande-Bretagne. Depuis, le pays s’enlise dans la stagnation économique et la montée du populisme. C’est une nation fatiguée qui regarde dans le rétroviseur. Le sujet est évoqué ce vendredi à 19h30 dans «Le Dessous des cartes».
«Sur les plans économique et stratégique, la Grande-Bretagne serait mieux lotie si elle était restée au sein de l’Europe. Un jour viendra où le parti conservateur le reconnaîtra, lui qui avait fait entrer le pays dans le marché commun en 1973. » Ainsi s’ouvrait l’éditorial de L’Independent, publié le 31 janvier dernier, date symbolique marquant les cinq ans de la rupture avec l’Union européenne. Toute la presse britannique n’a pas partagé ce constat, restant divisée, comme l’opinion, entre ceux qui dénoncent une erreur historique et ceux qui continuent de défendre une souveraineté retrouvée.
Et dans les faits ? Depuis 2020, le Royaume-Uni n’a pas sombré dans une crise brutale, mais il s’enfonce dans une lente dégradation. Certes, la pandémie de covid-19 et la guerre en Ukraine ont également pesé, reste que l’économie peine à retrouver son élan. Les exportations vers l’Union européenne se sont complexifiées : chaque envoi implique désormais une montagne de formalités. Les coûts augmentent, la productivité stagne et les investissements étrangers se raréfient. Les espoirs d’un renouveau économique post-Brexit se sont envolés. Quant au système de santé public, censé profiter des économies promises, il demeure dans un état critique.
Sujet brûlant
Paradoxalement, la question migratoire, un des moteurs du vote en faveur du Brexit, n’a pas disparu. Elle a simplement changé de visage. Selon le politologue John Curtice, « l’immigration s’est beaucoup diversifiée. Avant le Brexit, elle était surtout européenne. Aujourd’hui, elle vient davantage d’Asie et d’Afrique » en ce qui concerne l’immigration légale. Le pays manque de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs depuis le départ des travailleurs européens. Quant à l’immigration illégale, elle reste un sujet brûlant. Depuis le début de l’année, environ 37.000 migrants ont rejoint les côtes britanniques en traversant la Manche sur des embarcations de fortune.
Nigel Farage en embuscade
Autre paradoxe : alors que, selon les sondages, une majorité de Britanniques juge désormais le Brexit comme néfaste sur le plan économique, la population semble prête à ouvrir les portes du pouvoir au parti Reform UK de Nigel Farage, fer de lance du camp eurosceptique. Cette formation arrive pour l’heure en tête des intentions de vote. Son discours anti-immigration trouve un écho puissant dans une société déboussolée. Le Royaume-Uni a d’ailleurs vu se multiplier les manifestations contre les migrants, notamment devant des hôtels hébergeant des demandeurs d’asile. Et le 13 septembre dernier, une mobilisation de masse a rassemblé entre 110.000 et 150.000 personnes contre l’immigration. Dans un entretien au Monde, le géographe britannique Danny Dorling estimait que « cette mobilisation massive de l’extrême droite pouvait contribuer à la chute de l’actuel Premier ministre, Keir Starmer », davantage ouvert à l’Europe. Ce dernier souhaite améliorer la relation avec Bruxelles, notamment à travers un nouvel accord commercial et une coopération renforcée en matière de sécurité et de recherche. Mais les sondages ne lui sont plus favorables. Nigel Farage, à l’inverse, capitalise sur le mécontentement général.
L’opinion publique britannique apparaît ainsi déchirée entre repli sur soi, alimenté par la question migratoire, et regrets européens. Mais une chose est certaine : le Brexit n’a pas rendu sa grandeur au pays. Il a, au contraire, mis en lumière ses vulnérabilités.
Cet article est paru dans le Télépro du 13/11/2025