De poisson du pauvre à cible des cartels, les jeunes anguilles, ces « petits spaghettis gluants », rapportent plus que la cocaïne, mais sont en voie de disparition. Un sujet évoqué ce lundi à 21h05 sur France 5 dans «Sur le front».
En juillet dernier, le tribunal correctionnel de Bruxelles condamnait dix personnes à des peines allant jusqu’à quarante-six mois de prison ferme pour contrebande de jeunes anguilles. Ce jugement mettait en lumière l’ampleur du trafic de la civelle, l’alevin de l’anguille européenne classée « en danger critique d’extinction » !
Des valises pleines
L’affaire avait débuté alors que les douanes de Brussels Airport découvraient que dix-huit valises identiques, toutes enveloppées dans un film plastique, avaient été enregistrées pour un vol à destination de Doha, au Qatar. Les bagages contenaient des sacs remplis d’eau et de civelles (140 kg !), ainsi que des bouteilles d’eau glacée pour les garder au frais. Des passagers d’origine malaisienne tentaient de les faire passer vers la Malaisie, via le Qatar et le Vietnam. Valeur estimée de la marchandise : 400.000 €.
Marché noir
Le trafic des civelles représente le plus grand marché noir de faune sauvage en Europe, tant en volume qu’en valeur, et est plus rentable que le trafic de cocaïne. Selon Europol, l’Agence de l’Union européenne pour la coopération policière, il génère jusqu’à trois milliards d’euros de revenus par an. « Un kilo de ces petits spaghettis gélatineux rapporte nettement plus qu’un kilo d’argent, d’ivoire ou de caviar », rapporte le magazine économique Trends-Tendances.
La demande asiatique, exacerbée par la quasi-extinction de l’espèce locale, fait flamber les prix. Le réseau fonctionne à la manière des cartels de la drogue : structures cloisonnées, téléphones cryptés, véhicules rapides, fausses factures, sociétés offshores et mêmes zones de transit en Afrique et en Asie. C’est qu’il faut faire vite, puisque les civelles ne peuvent survivre plus de 48 h dans une eau peu oxygénée.
Le paradoxe de l’anguille
Autrefois abondante dans nos rivières et estuaires, l’anguille européenne était un aliment de base des foyers modestes. Facile à pêcher et à conserver (fumée, en gelée ou en matelote), elle servait de monnaie d’échange au Moyen Âge. Aujourd’hui, ce poisson au parcours migratoire fascinant (voir l‘infographie ci-contre) est devenu un mets de luxe. Les civelles en particulier sont très prisées en Asie pour leur rareté et leur valeur symbolique en matière de vigueur et de santé.
En péril !
Résultats ? L’anguille européenne est en péril. Outre le braconnage, il faut souligner la surpêche, la destruction de ses habitats et les obstacles à sa migration, comme les écluses, qui ont fait chuter ses populations de plus de 90 %. L’élevage en captivité étant très difficile, pour la sauver, il faudrait restaurer rivières et zones humides, aménager ou supprimer les barrages, réguler strictement la pêche et lutter contre le braconnage. La coopération internationale en cette dernière matière est cruciale. Un premier pas a été franchi grâce à Europol, qui coordonne l’opération Lake, avec plusieurs États européens, pour démanteler le trafic international de civelles et protéger cette espèce emblématique.
Cet article est paru dans le Télépro du 9/10/2025