En Iran, mariés pour quelques heures

Nila et sa maman Leyla, victimes d’une tradition ancestrale et hypocrite © Arte/Niloufar Taghizadeh

L’Iran autorise les mariages temporaires, pour quelques heures parfois. Mais qu’arrive-t-il quand un enfant naît de cette union ? C’est l’histoire de Nila…

Elle s’appelle Nila. Elle a 6 ans. Vêtue d’une petite salopette en jean, les cheveux au vent, elle glisse joyeusement sur un toboggan. Nila aime faire du trampoline, dessiner et danser. À la maison, elle a un chat, deux perruches et plus de peluches que ses petits bras ne peuvent en tenir. Pour son anniversaire, la maman de Nila, qui l’élève seule, a prévu une robe de princesse, un gâteau rose et plein de ballons… Nila fête ses 6 ans, mais elle n’a pas d’existence légale. Car dans son pays, l’Iran, les enfants nés hors mariage n’existent pas. « Je n’ai rien fait de mal, j’ai juste été naïve », pleure sa mère. Car elle s’était bel et bien mariée au père de la petite. Mais c’était un mariage temporaire… Vendredi à 0h25 sur Arte, un documentaire suit Nila et sa maman dans leur combat pour exister : « Le Rêve de Nila au jardin d’Éden ».

Besoin de plaisir

À côté du mariage classique – permanent -, la République islamique d’Iran accepte le « sigheh » : le mariage temporaire. On parle aussi de mariage de plaisir ou de jouissance. Il s’agit d’une union contractée entre les époux pour une durée et une dot déterminées. Cette union n’est pas enregistrée par l’administration. Une fois la durée échue, le mariage s’annule automatiquement. Cette tradition préislamique est basée sur le principe que l’homme a besoin de sexe comme d’air et d’eau. Ce serait cependant pécher que d’avoir des relations avec une femme qui n’est pas son épouse. Or l’épouse peut être indisposée, l’homme peut être en voyage…

Adultère et prostitution

Ce type de mariage a disparu au fil des siècles dans la plupart des pays musulmans, mais il demeure dans l’islam chiite, et donc en Iran. Il est généralement utilisé pour contourner des actes que la loi islamique interdit et punit sévèrement, comme l’adultère ou le concubinage. C’est aussi une manière de permettre la prostitution. Aux abords des lieux fréquentés par les hommes, traînent des femmes aguicheuses prêtes à un mariage temporaire. Contre dot, évidemment. Sur les réseaux sociaux iraniens, on voit aussi fleurir des petites annonces de jeunes filles… Une véritable économie du plaisir gravite autour du mariage temporaire. Selon une étude menée en Iran par un anthropologue de l’université du Kent, 61 % des hommes concluent un mariage temporaire pour satisfaire un besoin sexuel alors qu’une femme sur deux le fait pour des raisons économiques. Plus grave : ce type de mariage n’est pas toujours le fait d’adultes consentants. Il sert aussi de couverture aux mariages d’enfants, avant l’âge légal de 13 ans pour les filles et 15 ans pour les garçons.

Les enfants trinquent

Mais qu’arrive-t-il si un enfant naît d’un mariage temporaire ? C’est tout le problème de la petite Nila… En théorie, le mariage est alors officialisé. Mais dans les faits, cela dépend du bon vouloir de l’homme. Le géniteur de Nila a toujours refusé de faire les démarches pour reconnaître l’enfant. Or sans ces démarches, l’administration ne peut pas délivrer un acte de naissance. Et sans cet acte de naissance, la petite n’a aucune existence officielle. Impossible, par exemple, de l’inscrire à l’école… Le documentaire d’Arte suit la mère et la fille dans leur vie kafkaïenne. Et le temps presse car quand Nila aura 7 ans, ce père qu’elle n’a jamais vu pourrait exiger qu’elle soit séparée de sa mère pour être élevée dans sa famille à lui…

Cet article est paru dans le Télépro du 3/7/2025

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