Finance et politique, un couple diabolique

L’ancien chancelier allemand Gerhard Schröder a travaillé pour la société russe Gazprom après avoir quitté la politique © dpa/picture alliance via Getty Images

L’émission « Cash investigation » (ce mardi à 21h10 sur France 2) a enquêté sur les liens entre ces deux mondes et sur l’efficacité des règles censées les encadrer.

En japonais, cela se dit « amakudari », un terme poétique qui signifie « descente du ciel ». Les anglophones ont opté pour l’imagé « revolving doors », les « portes à tambour » (ou portes tournantes), tandis que les Français ont choisi l’énigmatique « pantouflage » et les Belges francophones le visuel « tourniquet ». Quelle que soit la langue, la réalité désignée est des plus terre à terre : c’est le fait pour un individu de passer d’un poste de haut fonctionnaire à un emploi dans le secteur privé.

Quel que soit le mot, la pratique qu’il recouvre a le même résultat pour le prix Nobel d’économie 2001, l’Américain Joseph E. Stiglitz : « Une perte de confiance en notre système politique et des doutes sur si les lois sont adoptées dans l’intérêt de tous ou uniquement dans celui d’une société financière. » Des ministres qui quittent la politique pour le monde des affaires, des patrons qui rêvent d’influencer la vie politique : y a-t-il un risque de mélange des genres, voire de conflit d’intérêts ? Jusqu’où l’argent privé peut-il influencer la démocratie ? Autant de questions auxquelles l’émission de France 2 tente d’apporter des réponses mardi soir. Les exemples ne manquent pas.

Le scandale Barroso

En novembre 2004, le politicien portugais José Manuel Barroso est nommé président de la Commission européenne. Davantage que son accession à cette fonction, c’est sa sortie de scène qui va défrayer la chronique. En 2016, deux ans après son retrait de la vie politique, il est engagé par la banque d’investissement américaine Goldman Sachs. Très vite, alors qu’il est « prétendument interdit de séjour au Berlaymont (le siège de la Commission européenne) », des ONG l’accusent d’y effectuer des activités de lobbying, notamment auprès de son ancien commissaire devenu vice-président de la Commission. Les principaux intéressés nient toute tentative d’influence de la part de l’ancien président. C’était juste « boire une bière » sera-t-il répondu à un journaliste. Consulté, le Comité d’éthique de la Commission conclut qu’aucune infraction à la législation de l’Union n’était à déplorer et que M. Barroso était libre d’accepter un emploi dans le secteur privé, puisqu’il s’était engagé à s’abstenir de toute activité de lobbying pour le compte de Goldman Sachs… Fin de l’épisode.

Et quelques autres vagues

D’autres affaires de « pantouflage » ne sont pas passées inaperçues. Quand un ancien chancelier allemand est engagé par un géant industriel russe, cela fait du bruit. C’est ce qui arrive lorsque Gerhard Schröder, prédécesseur d’Angela Merkel et Olaf Scholz, passe avec armes et bagages chez Gazprom après sa démission fin 2005.

Plus tard, aux États-Unis, on estime qu’Hillary Clinton devrait en partie son échec aux élections présidentielles américaines de 2016 à des conférences à Wall Street richement rémunérées. Les soupçons de collusions avec le monde de la finance lui ont coûté cher. Et que dire des allers-retours de Donald Trump entre le monde des affaires et la Maison Blanche ?

Conflits d’intérêts sous surveillance

En Belgique aussi, le « tourniquet » existe. Avec les mêmes risques de conflits d’intérêts. La loi encadre ce phénomène afin de prévenir ces conflits, notamment en imposant un délai avant qu’un ancien agent public puisse travailler dans le privé. Il lui faut ainsi trois ans avant qu’il puisse travailler dans une entreprise qu’il a surveillée ou contrôlée. Les sanctions incluent jusqu’à trois ans de prison et 200.000 € d’amende. L’Union européenne a également ses règles pour ses institutions. Toutefois, la grande majorité des États membres (20) ne prévoit pas de délai à respecter pour le passage de leurs anciens députés vers le secteur privé…

Cet article est paru dans le Télépro du 19/6/2025

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