Géopolitique : les heures sombres de la mer Noire

Sa position géostratégique en fait, depuis des siècles, un lieu hautement convoité. Vladimir Poutine rêve d’en faire « un lac russe ». Ce dimanche à 21h05, France 5 diffuse «Main basse sur la mer Noire».

La mer Noire. Noire comme les dangers qui guettent les Argonautes de la mythologie grecque quand ils traversent celle que les Hellènes appellent, au VIIIe siècle av. J.-C. l’« Axéinos Pontos » : la mer inhospitalière. Noire comme la couleur de ses eaux. Noire comme sa position géographique (pour les Turcs, le noir désignait le nord). Noire aussi comme sa fragilité écologique, son environnement hostile et dangereux, la multiplication des conflits géopolitiques dont elle a été et reste le théâtre. Noire comme les heures sombres qu’elle traverse à nouveau.

The place to be

Située entre les actuelles Ukraine, Russie, Géorgie, Turquie, Bulgarie et Roumanie, la mer Noire constitue une charnière entre l’Europe, l’Asie et le Moyen-Orient. Dans l’Antiquité et le Moyen Âge, c’est déjà un carrefour commercial crucial pour le blé, la cire et l’ambre. Elle fait aussi le lien entre les mondes orthodoxe et musulman. Grande comme quatorze fois la Belgique, cette mer pratiquement fermée (elle ne communique avec la Méditerranée que par le détroit du Bosphore et celui des Dardanelles) est aujourd’hui « à la croisée des challenges les plus importants auxquels a et aura à faire face la sécurité de l’Europe », analyse Françoise Rollan, directrice de recherche émérite du CNRS (Centre national de la recherche scientifique, France). Migration illégale, dégradation environnementale, approvisionnement en ressources énergétiques, trafic illégal de drogues, d’armes, et conflits : sa dimension géostratégique est essentielle. Et ce n’est pas récent.

Chasse gardée

Dans l’Antiquité, Perses, Grecs puis Romains prennent en main les clés de la porte de cette route commerciale. Byzance, les cités italiennes comme Venise et Gênes, les Mongols et les Tatars leur succèdent. Au XVe siècle, les Ottomans s’emparent progressivement de son littoral. Après la conquête de Constantinople, en 1453, ils contrôlent les détroits et en restreignent l’accès aux navires étrangers. Considérée comme « un lac turc », la mer Noire devient leur chasse gardée. Jusqu’à ce que la Russie entre dans la danse. Devenu seul souverain de l’Empire en 1696, Pierre le Grand cherche à y accéder pour étendre son influence. Les guerres entre les deux puissances se succèdent. En 1774, les navires commerciaux russes peuvent y naviguer. Neuf ans plus tard, la Russie annexe la Crimée. Dorénavant, elle a accès aux mers chaudes. C’est la fin de l’isolement russe.

Éclaircie puis tempête

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la mer Noire se retrouve dans l’axe de la division entre le Pacte de Varsovie et l’Otan. L’URSS renforce son contrôle sur la zone. La fin de la guerre froide et l’effondrement de l’Union soviétique (1991) laissent espérer « une mutation de ces eaux stratégiques en espace de coopération pacifique », comme l’écrit le quotidien français Le Monde. Moscou ne dispose plus que de 400 kilomètres de côtes et de 4 des 26 ports soviétiques de la région.

L’annexion de la Crimée par Moscou en 2014 rebat les cartes. « La Russie dispose désormais de 1.000 kilomètres supplémentaires de côtes », détaille le site internet Desk Russie. « L’idée est de s’assurer le contrôle stratégique de la mer Noire et de faire de la presqu’île ukrainienne une tête de pont vers la Méditerranée et le Proche-Orient. » Huit ans plus tard, l’Armée rouge envahit l’Ukraine.

Le rêve de Vladimir

Axe vital pour l’acheminement du pétrole et du gaz (notamment), reliant les pays producteurs de la Caspienne et de la Russie aux marchés européens, essentielle pour l’exportation de céréales vers les États en développement… La lutte pour la suprématie en mer Noire est l’un des enjeux majeurs du conflit. Dans sa demeure, à plus d’un milliard de dollars, perchée au bord de la mer Noire, Vladimir Poutine rêve de faire de celle-ci un « lac russe ».

Cet article est paru dans le Télépro du 25/9/2025

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