La mémoire des harkis reste une plaie vive entre la France et l’Algérie. Massacrés ou exilés, parqués dans des camps en France, ces anciens supplétifs de l’armée française et leurs familles ont attendu leur reconnaissance durant des décennies. Ce vendredi à 23h15, Arte diffuse le film «Les Harkis».
« Aux combattants abandonnés, à leurs familles qui ont subi les camps, la prison, le déni, je demande pardon », déclarait le président Emmanuel Macron, un jour de septembre 2022. Un discours pour sortir de l’oubli les harkis et leurs descendants, longtemps relégués aux marges de la mémoire nationale.
Servir la France…
Le terme « harki » désigne un Algérien ayant servi comme supplétif de l’armée française dans une unité appelée harka. Le mot vient de l’arabe et signifie « mouvement ». En février 1961, à la fin de la guerre d’indépendance de l’Algérie (1954-1962), on estimait le nombre de harkis à environ 250.000. Avec le temps, le terme a fini par désigner plus largement l’ensemble des Algériens ayant soutenu l’armée ou l’administration françaises : appelés, engagés, fonctionnaires ou élus.
Traîtres
À la fin du conflit, entre 60.000 et 70.000 harkis sont exécutés en Algérie, souvent dans des conditions effroyables. Ils sont traités comme des collabos. Le Comité national de liaison des harkis (CNLH) rappelle leur exil vers la France, pour ceux qui le pouvaient. C’était alors la valise ou le cercueil. Pour les autres, le CNLH évoque tous ces « hommes égorgés, dépecés, émasculés, leurs organes génitaux enfoncés dans la bouche. » Leur famille était ensuite mise au ban de la société.
Déniés par la France
Les représailles à leur encontre débutent dès juillet 1962, s’étendent sur tout le territoire jusqu’à l’automne, puis reprennent sporadiquement en 1963. Ceux qui parviennent à fuir avec leur famille, environ 90.000 personnes, sont pour beaucoup mal accueillis en France. Plus de la moitié sont parqués dans des camps misérables, loin des regards. Ils y resteront parfois des années, réduits à l’état de « réfugiés à surveiller », à la différence des rapatriés européens.
Fatima Besnaci-Lancou, auteure entre autres de « Fille de harki » (2003, Éd. de l’Atelier), a passé quinze ans dans l’un de ces camps. Elle témoigne : « Les harkis ne sont pas morts de faim… En revanche, le lieu était inhospitalier. Il faisait très froid l’hiver, le vent était glacial. Il y a eu beaucoup de morts dans les camps. » Ce n’est pas pour rien que l’État français, en 2024, a été condamné par la Cour européenne des droits de l’homme.
Nourrir leur famille
Maltraités en France et répudiés en Algérie. Fatima Besnaci-Lancou dénonce une falsification historique persistante : « L’histoire des harkis a été déformée pendant cinquante ans. Le pouvoir algérien continue à livrer une image fausse des harkis. » Loin des raccourcis idéologiques, elle rappelle que leur engagement dans l’armée française relevait rarement d’un choix politique. « Les raisons de l’engagement sous le drapeau français étaient pratiquement toutes liées à la violence de la guerre. C’était une question de survie. » Dans un contexte de chaos, de chômage endémique et d’insécurité croissante, beaucoup ont opté pour ce camp afin de nourrir leur famille ou d’éviter les représailles.
« Tout doit être dit »
« Les chemins qui mènent aux maquis du FLN (Front de libération nationale, rôle majeur dans la lutte pour l’indépendance) ou à une harka ne sont pas si différents qu’on pourrait le croire. Certains parallèles peuvent même surprendre », estime Abderahmen Moumen, docteur en Histoire de l’université de Provence. D’un côté comme de l’autre, des êtres humains ont été pris dans la tourmente de l’Histoire, contraints de choisir dans un monde sans choix. Germaine Tillion, ethnographe et médiatrice durant la guerre d’Algérie, écrivait : « Les harkis ont longtemps été condamnés au silence, assommés par des injures absurdes. Il est temps de tourner la page de la guerre, mais auparavant tout doit être dit. »
Cet article est paru dans le Télépro du 10/7/2025