La faillite du système financier imaginé par un économiste écossais pour liquider la dette du règne de Louis XIV est le premier grand krach de l’histoire européenne.
De nos jours, rien de plus banal que de sortir un billet de banque pour payer un achat. Pourtant, si les Chinois l’utilisent depuis le VIIe siècle, le papier-monnaie n’a, en Europe, qu’un peu plus de trois siècles. En France, il se répand en 1717 à l’initiative de John Law de Lauriston (prononcer John Lass en français), qui est aussi à l’origine d’une terrible banqueroute, comme le raconte Patrick Boucheron dimanche, à 13.00, sur Arte dans «Quand l’Histoire fait dates».
À la mort de Louis XIV en 1715, les finances du royaume français inquiètent : les caisses sont vides et la dette publique atteint un montant record. En cause, les guerres incessantes, la politique de grandeur et le faste de Versailles. Animé d’idées réformatrices, le régent Philippe d’Orléans – Louis XV, son neveu, n’a alors que 5 ans – ambitionne de rétablir la situation financière de la monarchie et de la moderniser.
Audacieux système
Entre alors en scène un certain John Law (1671-1729), fils d’un banquier-orfèvre d’Édimbourg et joueur de cartes invétéré. « C’est « l’homme de la situation », ainsi que l’écrit le mémorialiste Saint-Simon », raconte Fabienne Manière dans « Le Système Law » (Herodote.net). « De fait, il va résorber la dette par un coup d’audace sans précédent. »
Contraint de fuir son pays après un duel, John Law a parcouru l’Europe, tout en étudiant les institutions bancaires. Il est convaincu que la valeur d’une monnaie n’est pas fondée sur la valeur d’un métal précieux, mais sur la confiance qu’on lui accorde. Selon lui, plus il y a d’argent en circulation, plus les échanges commerciaux augmentent et, avec eux, la croissance. Son idée pour augmenter les liquidités ? Remplacer l’or et l’argent, disponibles en trop faible quantité, par des billets et du crédit bancaire ! Séduit, le Régent français accepte le « Système de Law ».
En mai 1716, Law crée, rue Quincampoix à Paris, sa banque privée, qui émet des billets contre de l’or. Cette Banque générale connaît un succès immédiat – elle deviendra même banque d’État – et l’économiste une ascension fulgurante, jusqu’à devenir contrôleur général des Finances. La masse monétaire en circulation augmente et les actions de la Compagnie du Mississippi, fondée par Law pour exploiter les ressources de la Louisiane et liée à sa banque, s’envolent.
Fuite et exil
Mais la chute sera tout aussi rapide… En 1720, les adversaires fortunés de Law, bien décidés à mener le système à la faillite, incitent les principaux investisseurs à échanger leurs actions contre de l’or. La bulle spéculative éclate, les actions chutent et la panique s’installe sur le marché. La foule se presse pour réclamer des remboursements, que la banque ne peut assumer. C’est la banqueroute ! Fin décembre, John Law, haï par tout un peuple, fuit précipitamment le pays et finira sa vie en exil et dans l’anonymat.

Si le système de Law permit à l’État de payer ses dettes, d’augmenter ses recettes et de stimuler le commerce, « ses effets psychologiques furent désastreux », peut-on lire dans « John Law, le spéculateur » (L’Histoire). « Certains réalisèrent d’immenses fortunes en quelques mois tandis que beaucoup d’autres se retrouvèrent ruinés. D’où une prévention générale contre le papier-monnaie : la » fièvre du Mississippi » retarda durablement la mise en place d’un système bancaire en France. »
Cet article est paru dans le Télépro du 13/11/2025