Histoire : pourquoi une chasse aux sorcières a-t-elle été organisée en Europe ?

En 2022, la Première ministre d’Écosse a présenté des excuses pour les quelque 4.000 victimes de la chasse aux sorcières. D’autres régions européennes ont aussi réhabilité les victimes locales, comme Cathelyne Van den Bulcke en Belgique. © Getty Images

Dans l’imaginaire collectif, les XVe et XVIe siècles sont ceux de la Renaissance, de l’Humanisme. Les XVIIe et XVIIIe de la raison et des Lumières. Pourtant, en Europe, c’est à cette époque qu’ont été arrêtées, torturées et condamnées à mort des dizaines de milliers de prétendues sorcières.

Alors que les bûchers sont éteints depuis deux siècles, Arte revient, samedi à 20h55 avec le documentaire «Sorcières – Chronique d’un massacre», sur l’année 1609, lors de laquelle s’est déroulé le dernier et plus sanglant épisode de chasse aux sorcières en France. Quelle folie s’est emparée de l’Europe pour mener au plus grand féminicide de l’Histoire ?

Le bouc-émissaire

La notion de sorcellerie existe depuis l’Antiquité. Les femmes qui s’y seraient adonnées étaient respectées voire vénérées tant qu’elles guérissaient des maladies ou retrouvaient des objets perdus. Mais elles étaient les premières accusées en cas de morts, de mauvais temps… Lorsqu’au XIVe siècle, l’Europe connaît une période noire (surpopulation, famine, révoltes sociales, peste, guerre de Cent ans et Grand Schisme d’Occident), il faut bien trouver quelqu’un à blâmer… S’ils étaient anecdotiques au siècle précédent, les premiers procès et bûchers de sorciers (car à l’époque, presque autant d’hommes que de femmes étaient accusés) ont lieu en Europe à partir du XVe siècle.

La peur s’installe

Le 5 décembre 1484, le pape Innocent VIII reconnaît officiellement l’existence des sorcières et autorise les inquisiteurs à les poursuivre. La chasse est ouverte. Deux ans plus tard, à Strasbourg, Henri Institoris et Jacques Sprenger publient le « Malleus Maleficarum » (« Le Marteau des Sorcières »), un traité expliquant comment traquer les sorcières. Car il s’agit désormais de femmes, descendantes de la pécheresse Ève, à l’appétit sexuel insatiable, faibles d’esprit et manipulables. « Historiquement, la plupart des femmes qui étaient considérées comme de méchantes magiciennes ayant vendu leur âme (…) étaient pour la plupart de terrifiantes sages-femmes, de cauchemardesques vieilles veuves habitant seules et de sataniques guérisseuses qu’il fallait absolument arrêter avant qu’elles ne prescrivent à quelqu’un une autre tisane diabolique pour la toux », explique avec humour l‘acteur canadien Charles Beauchesne, auteur du podcast « Les Pires moments de l’Histoire ».

L’Europe en feu

Les campagnes sombrent dans une folie de traques et de dénonciations. La population elle-même est encouragée à débusquer les sorcières. Jalousie, dispute : le moindre heurt est prétexte à accuser sa voisine de fricoter avec Satan. Les procès se multiplient et quel meilleur moyen de pousser les accusées à admettre qu’elles volent la nuit sur des balais que de les torturer ? D’autant que sous la contrainte, les malheureuses sont aussi forcées de dénoncer leurs comparses de Sabbat. Diablement efficace, cette pratique en a contraint certaines à dénoncer des dizaines d’innocentes. Torturés à leur tour, les femmes, hommes et enfants (qui n’étaient pas épargnés) dénoncent, lors de procès humiliants, d’autres sorcières, plongeant des villages entiers dans un engrenage sans fin. Entre 1430 et 1630, on estime entre 40.000 et 100.000 le nombre de victimes de la chasse aux sorcières en Europe. Une telle marge d’erreur s’explique par les lynchages spontanés qui, évidemment, n’étaient pas archivés.

La dernière victime

Bien qu’à l’époque, il ne faisait bon être une femme (70 à 80 % des accusations concernaient la gent féminine) nulle part sur le continent, certaines zones ont été particulièrement ravagées. D’après Hérodote.net, le Saint-Empire concentre à lui seul la moitié des bûchers d’Europe. La Suisse, la France, la Scandinavie et l’Écosse ont envoyé aux flammes ou à la potence des milliers d’innocentes, tandis que l’Angleterre, l’Espagne, l’Italie et le Portugal sont restés plus mesurés. Le déclin des répressions s’amorce progressivement à la fin du XVIIe siècle et s’accélère au XVIIIe avec l’essor de la médecine et la remise en question de l’existence même des sorcières. Anna Göldi est la dernière Européenne à avoir été condamnée pour sorcellerie : elle fut décapitée le 13 juin 1782 en Suisse.

Cet article est paru dans le Télépro du 16/10/2025

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