Imposture : Enric Marco, faux survivant, vrai menteur

Pendant la guerre, plus de sept mille Espagnols réfugiés en France ont été déportés vers le camp de Mauthausen, près de cinq mille n’en sont jamais sortis. Enric Marco, lui, n’y a jamais mis les pieds ! Il est mort en 2022 à l’âge de 101 ans © AFP via Getty Images

Mai 2005, l’Espagne tremble. Enric Marco, qui émeut depuis trente ans le pays en racontant la souffrance des camps de concentration, vient d’être démasqué. L’homme est une fraude, sa vie un tissu de mensonges.

Javier Cercas, écrivain connu pour ses livres sur le passé refoulé de l’Espagne, s’intéresse à l’histoire d‘Enric Marco et décide de le rencontrer. Des entretiens qui donneront naissance à « L’Imposteur » et dont les enregistrements constituent le cœur du documentaire « Javier Cercas et «  L’Imposteur  » », proposé par Arte ce lundi à 23.35. Qui est cet homme qui a mystifié l’Espagne ?

Le récit

En 1978, Enric Marco, un Barcelonais né en 1921, publie pour la première fois son témoignage d’ancien déporté du camp de Flossenbürg (Allemagne). Entre 2000 et 2005, il s’exprime dans des centaines d’écoles pour mettre en garde contre les dangers du nazisme et raconter sa vie. Et quelle vie ! Militant anarchiste, il fuit l’Espagne de Franco en 1941 et se réfugie en France pour participer à la Résistance. Mais à Marseille, il est capturé par la milice de Pétain et contraint aux travaux forcés. L’accusant de sabotage, la Gestapo l’arrête, le met en cellule neuf mois avant de l’envoyer vers le camp de concentration de Mauthausen (Autriche) puis de Flossenbürg. Libéré en 1945, il retourne en Espagne l’année suivante pour poursuivre la lutte contre la dictature franquiste.

Le doute

Le « déporté 6.448 » possède un incontestable talent narratif et relate, lors de témoignages déchirants, l’horreur des camps, allant jusqu’à émouvoir aux larmes les parlementaires espagnols. En 2001, il reçoit la prestigieuse Croix de Sant Jordi, remise par le gouvernement pour services rendus à la Catalogne. Entre 2003 et 2005, il est élu président de l’Amicale de Mauthausen et autres camps nazis, association dédiée à la mémoire des victimes. Il enchaîne les témoignages et les interviews. Sa renommée s’accroît au fil des conférences. Mais dans la foule, un historien madrilène, Benito Bermejo, s’interroge sur les incohérences et contradictions de son récit.

La vérité

Alors il enquête. Et sa découverte va secouer l’Espagne. En se renseignant auprès des Archives du ministère des Affaires étrangères, il découvre que Marco était bien en Allemagne à l’époque. Mais en tant que travailleur volontaire pour le IIIe Reich à la Deutsche Werke, une usine d’armement de Kiel où il a été envoyé comme d’autres Espagnols à la suite d‘un accord entre Franco et Hitler. Et à Mauthausen et Flossenbürg ? Aucune trace de son nom !

Les conséquences

Alors que Marco doit donner un discours en Autriche lors du 60e anniversaire de la libération du camp, Bermejo remet son rapport au bureau du Premier ministre et à l’Amicale de Mauthausen. Enric Marco est sommé de revenir immédiatement et, acculé face aux preuves, avoue : depuis trente ans, il a tout inventé. Mais pour la bonne cause, tente-t-il de se justifier : pour être plus convaincant… « Tout ce que je raconte, je l’ai vécu, mais à un autre endroit. J’ai seulement changé de lieu pour mieux faire connaître la douleur des victimes. Personne n’a le droit de dire que la souffrance subie dans une prison de la Gestapo n’est pas la même que celle ressentie dans un camp de concentration. » insiste-t-il. En 1942, il aurait été arrêté par les nazis et soumis à « des interrogatoires cruels » avant de rentrer en Espagne en 1943. Il est démis de ses fonctions et privé de ses récompenses. Ses arguments ne convainquent personne, ni le peuple, ni la presse et encore moins les véritables victimes de la Shoah.

Cet article est paru dans le Télépro du 18/9/2025

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