Sur Arte, dans la nuit de mardi à mercredi à 1.15, l’incroyable destin d’un soda géorgien commandé par Staline qui, sur fond de guerre froide, voulut égaler le succès du Coca-Cola !
Pharmacien en Géorgie, Mitrofan Laghidze crée des boissons gazeuses. Pour les aromatiser, il a l’idée novatrice, en 1887, de remplacer les essences chimiques importées par des sirops naturels de fruits et de plantes (coing, poire, cerise, agrumes…). Il est aussi le premier à utiliser… de l’estragon. Cette invention donne naissance aux limonades Laghidze, fort appréciées en Géorgie puis dans d’autres républiques de l’Union soviétique.
Surveillé par le KGB
Joseph Staline, originaire de Géorgie, consomme les limonades Laghidze et les fait servir au Kremlin. Selon la légende, lorsqu’il reçoit, du président américain Harry Truman, en 1952, un millier de bouteilles de Coca-Cola et qu’il voit ce cadeau apprécié par le comité central du Parti, Staline est piqué au vif. Il charge le chef des services secrets soviétiques, Lavrenti Beria, Géorgien lui aussi, de fabriquer un soda supérieur à celui des Américains. Ce dernier fait appel à Mitrofan Laghidze pour créer « la limonade des limonades ».
Sous l’étroite surveillance du KGB, Laghidze conçoit une recette inédite à base d’arômes de vanille et d’un nouvel assemblage de citron et de poire. En quête de perfection absolue, il utilise une essence de poire améliorée, fabriquée avec de l’huile de rose. L’opération « Soda » donne lieu à une dégustation strictement encadrée auprès de 150 travailleurs. Staline apprécie cette limonade qui lui rappelle le goût de son enfance en Géorgie, terre de vergers. L’alchimie secrète du maître-artisan sera reproduite à des millions d’exemplaires et vendue dans tout le pays. La légende raconte que 2.000 bouteilles sont envoyées par Staline au président américain, qui complimente… Il s’agit d’un soda sans produits chimiques et moins riche en sucre que le Coca-Cola. Les jolies bouteilles décorées de papier argenté et d’une étiquette sophistiquée, avec un bouchon en liège, restent un produit de luxe mais des bouteilles standardisées, avec un bouchon métallique, sont produites en masse.
Contre la « coca-colonisation »
Les boissons rafraîchissantes se font aussi la guerre… froide. Le Coca-Cola est interdit à l’Est. Sous Brejnev, Pepsi réussit cependant à introduire son cola en Union soviétique. En échange, la vodka soviétique est vendue aux états-Unis. Lors des JO à Moscou de 1980, Coca-Cola fait partie des sponsors et détourne l’interdiction : il est distribué sur les sites olympiques et aux responsables soviétiques.
Dans les années 1990, le peuple russe a soif de nouveauté et veut s’intégrer au reste du monde. La Géorgie sera la première région à embouteiller du Coca-Cola dans l’ex-URSS. La limonade Laghidze devient le symbole d’un temps révolu. Aujourd’hui elle reste populaire et consommée par un public attaché aux produits authentiques, sans conservateurs. Si elle avait été produite à l’échelle mondiale, peut-être aurait-elle conquis le monde entier, converti bien plus tôt aux saveurs naturelles. Qui sait quel goût le monde aurait aujourd’hui…
Cet article est paru dans le Télépro du 4/12/2025