Peter Sichel, l’espion qui aimait le vin

En 1972, Peter Sichel est un éminent spécialiste dans le commerce du vin © Penske Media via Getty Images
Alice Kriescher Journaliste

Mardi à 22h35 avec le documentaire «L’Espion aux mille vies», Arte nous fait découvrir l’histoire étonnante de Peter Sichel, témoin de première ligne des événements les plus marquants du XXe siècle.

Décédé en février dernier, à l’âge de 102 ans, Peter Sichel n’a définitivement pas eu une vie banale. Espion durant la Seconde Guerre mondiale et la guerre froide, il est ensuite devenu une figure majeure du monde viticole.

Espion non violent

Né en 1922 sur le sol allemand, Peter Sichel et les siens, d’origine juive, fuient leur pays natal dès 1939, où fut fondée la première entreprise viticole familiale, en 1857. Après être passée par Bordeaux, puis Lisbonne, la famille Sichel atteint miraculeusement les États-Unis, en 1941. Âgé de 19 ans, le jeune Peter rejoint l’armée américaine et, compte tenu de sa maîtrise du français, est envoyé à Alger où il s’illustre dans la collecte de renseignements. Sa petite réputation faite, il intègre, après la guerre, l’OSS, ancêtre de la CIA.

Après un premier poste à Berlin, où Peter est chargé de garder un œil sur les machinations soviétiques, il est finalement envoyé à Hong Kong. Promu chef de sa station, il est tenu de surveiller la montée du communisme en Asie du Sud-Est. À la fin des années 1950, la paranoïa gagne l’administration américaine qui craint la propagation rouge. La collecte de renseignements et la surveillance, fondements des activités de la CIA, sont ainsi peu à peu délaissées au profit d’actions secrètes, voire paramilitaires. Une ingérence trop violente selon Peter qui n’hésite pas à dénoncer la dangerosité de ces opérations et à démissionner en 1959.

Retour aux racines

Au début des années 1960, Peter Sichel décide de retourner aux premières amours de sa famille, le vin, et prend le contrôle de l’import H. Sichel Sons, à New York. Seulement voilà, à l’époque, en matière de vin, la Grosse Pomme ne possède pas de juste milieu : l’on boit soit de la piquette de supermarché, soit de très grands crus. Peter décide qu’il est temps d’en finir avec ce grand écart et remet au goût du jour une gamme Sichel intermédiaire, née en 1920, la « Blue Nun ».

« Blue Nun » moderne

Après de nombreux essais gustatifs, un assemblage de riesling, müller-thurgau, silvaner et gewürztraminer donne naissance au « Blue Nun » modernisé. Présenté comme un vin « que l’on peut boire tout au long du repas », il devient, à grand renfort de matraquage publicitaire, un best-seller sur le marché anglophone, mais aussi en Scandinavie et en Asie. À son apogée dans les années 1980, les ventes annuelles atteignent 1,25 million de caisses aux États-Unis et 3 millions dans le monde. « Mais, à mesure que le monde du vin se développait et que les consommateurs devenaient plus exigeants, Blue Nun tomba en disgrâce », indique le site Le Grand conseil du vin de Bordeaux. « Avant que l’entreprise ne s’effondre complètement, Sichel a revendu sa marque à une grande entreprise allemande, encore en activité aujourd’hui. »

Bonne relève

Convaincu du potentiel viticole de l’Aude, Peter Sichel avait repris, en 1989, le Domaine du Révérend à Cucugnan, dans les Corbières. Toujours en activité, le lieu est dirigé, depuis 2019, par son petit-fils Alexandre. Visiblement avec brio : en janvier de cette année, ce dernier a remporté le prix de la Découverte de l’année lors de la cérémonie des Grands Prix 2025 de la Revue du vin de France. 

Cet article est paru dans le Télépro du 13/11/2025

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