Quand l’intelligence artificielle se mord la queue…

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Rodophe Masuy Journaliste

Utilisée sans discernement, l’IA affaiblit notre capacité à réfléchir. D’autant plus qu’elle devient un outil puissant pour influencer les masses et semer le doute. Mais elle montre aussi déjà ses limites. Ce mardi à 22h30, Arte diffuse le documentaire « L’Intelligence artificielle, un tsunami sur le Web », suivi à 23h55 de « L’IA va-t-elle tuer Internet ? ».

«Une des principales ironies de l’automatisation est qu’en mécanisant les tâches courantes et en laissant le traitement des exceptions à l’utilisateur humain, vous le privez des occasions habituelles de pratiquer son jugement et de renforcer sa musculature cognitive, les laissant atrophiées et non préparées lorsque les exceptions se présentent », expliquent des chercheurs de Microsoft et de l’université Carnegie Mellon (États-Unis). En confiant nos tâches routinières à l’intelligence artificielle (IA), on « démuscle » notre capacité de réflexion.

L’IA a « mangé » tout le Web

De fait, l’IA s’invite partout : dans nos recherches en ligne, nos mails de travail, nos photos retouchées. Mais derrière ses réponses fluides se pose la question de son alimentation. Car une IA ne pense pas seule. Elle se nourrit de textes et de conversations notamment puisés sur le Web. Internet n’est cependant pas une source infinie. Ainsi, selon une note récente de la banque Goldman Sachs, les grands modèles ont déjà « épuisé les données publiques de haute qualité ». Résultat ? Certains se rabattent sur des contenus artificiels, générés par d’autres IA. Le serpent se mord la queue ! Alors, « les modèles finissent par se dégrader, faute de diversité », résume une étude de l’université d’Oxford.

L’IA parle chinois

Une vétérinaire belge racontait récemment que ChatGPT lui citait désormais des études chinoises sur les plantes médicinales. Anecdote ? Pas vraiment. Une analyse publiée par Science Business montre que la Chine a dépassé l’UE et les États-Unis en nombre d’articles scientifiques mobilisant l’IA. Elle donne davantage de place à ce qui est le plus abondant dans ses bases. Les biais linguistiques accentuent encore le déséquilibre. L’anglais est aussi omniprésent, les langues minoritaires deviennent invisibles.

Manipuler les masses

N’importe qui, ou presque, peut désormais produire photos, vidéos ou deepfakes (hypertrucages) depuis son salon. Zelda Williams, la fille du regretté Robin Williams, a récemment demandé à ses fans de cesser de lui envoyer des vidéos de son père générées par l’IA. Mais ces manipulations peuvent aussi servir à des fins politiques. Objectif : influencer les électeurs, comme cette fausse discussion entre Donald Trump et Joe Biden diffusée sur Twitch en 2023. En Slovaquie, à la même période, un enregistrement avait fait grand bruit. On y entendait le chef d’un parti pro-européen admettre que les élections législatives allaient être truquées, un contenu fabriqué. Et que dire des campagnes prorusses actuelles ? Elles s’appuient sur des profils fictifs et des bots (programmes automatisés de l’IA) pour diffuser des contenus générés par IA. Leur but est de saper les soutiens à l’Ukraine et de promouvoir des partis radicaux ou certains régimes en Europe ou ailleurs, comme au Burkina Faso par exemple. Le Global Risk Report du Forum économique mondial classe d’ailleurs la désinformation comme le « risque mondial numéro un ».

Qui décide ?

Enfin, comme le souligne le philosophe Louis de Diesbach, « pour toute technologie, il faut se demander, d’une part, comment ça marche et, d’autre part, qui décide comment ça marche ». On se souvient à ce propos que l’IA Grok avait été temporairement suspendue. Ses réponses sur le conflit à Gaza ne correspondaient pas à la ligne éditoriale de son patron, Elon Musk. Il n’est cependant pas question de jeter l’IA comme on jetterait le bébé avec l’eau du bain. Il s’agit d’un outil profitable s’il est utilisé avec parcimonie et esprit critique. D’où la nécessité de diversifier ses sources d’information. C’est, au fond, la meilleure résistance humaine dans un monde où les machines écrivent (et pensent) à notre place. 

Cet article est paru dans le Télépro du 16/10/2025

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