Seconde Guerre mondiale : l’incroyable épopée du seul GI français

Rodophe Masuy Journaliste

Il n’en parlait jamais. Jusqu’au jour où un film ravive sa mémoire. L’histoire de Bernard Dargols, seul Français à avoir débarqué en GI, ressemble à un roman. Pourtant tout est vrai.

«La barge avançait plus vite, puis s’arrêta. (…) Trente minutes qui parurent interminables, coincés dans cette soute inondée par le bruit incessant des bombardements. (…) L’idée de revenir en France, et surtout l’espoir de revoir ma famille après l’avoir quittée six ans auparavant, me submergeait. Je l’avais laissée adolescent. Cet après-midi du 8 juin 1944, je revenais en tant que GI. J’avais 24 ans. » Par ces mots, Bernard Dargols replongeait dans l’instant le plus intense de sa vie : son retour en France, sous uniforme américain, lors du Débarquement.

Samedi à 20h35 sur La Trois, Esmeralda Labye se penche sur le destin exceptionnel de cet étudiant parisien parti en stage aux États-Unis en 1938 et engagé dans l’armée américaine dès 1940. Il fut le seul Français à débarquer à Omaha Beach, le 6 juin 1944 sous uniforme américain.

Un silence de plus de 50 ans

Bernard Dargols est à New York quand la guerre éclate, la France capitule. Il rejoint l’armée américaine et intègre le renseignement militaire, profitant de sa maîtrise du français. Cette trajectoire inattendue, Bernard la gardera pourtant longtemps pour lui. « Il ne parlait jamais de la guerre quand nous étions enfants », rappelle sa petite-fille, Caroline Jolivet, qui a retranscrit son témoignage (« Bernard Dargols – Un GI français à Omaha Beach », Éd. Orep). Ce mutisme dure jusqu’en 1998, lorsqu’ils vont voir « Il faut sauver le soldat Ryan ». « À la fin, raconte-t-elle, il a dit que c’était la première fois qu’un film montrait vraiment ce qu’il avait vécu. Il faudra encore plusieurs années, et un voyage à New York, pour qu’un ami l’incite à briser le silence. Ça nous a stupéfaits. Et là, il s’est mis à parler. »

Le Jour J

Son histoire prend vie en juin 1944, au large des côtes normandes. En raison des marées, sa barge doit patienter. Il ne débarque sur Omaha Beach que le 8 juin, deux jours après les premières vagues. Un délai qu’il considérera comme providentiel. À seulement 24 ans, il se retrouve en première ligne. En tant que francophone, il doit entrer le premier dans les villages, interroger les habitants, repérer les mines, les dépôts d’armes, les soldats ennemis encore cachés. « Quelle émotion, se souvenait-il, d’entendre à nouveau parler français, d’être embrassé par des personnes qui me saluaient comme leur libérateur. »

Bernard Dargols, vétéran franco-américain, a, notamment, reçu les honneurs du président Barack Obama en 2009, à Colleville-sur-Mer, à l’occasion du 65e anniversaire du D-Day

Retrouver sa mère

À mesure que les troupes avancent, Bernard participe à la libération de la Normandie, puis de la Bretagne et des Ardennes, avant de poursuivre jusqu’en Allemagne. Mais sa préoccupation première demeure la même : retrouver sa mère. Quelques mois plus tard, une affectation au Counter Intelligence Corps à Paris lui permet enfin de rentrer chez lui. Les retrouvailles sont bouleversantes. « Il disait que, contrairement aux soldats américains, il avançait vers sa famille. Eux se battaient si loin des leurs… Il les admirait énormément », confie sa petite-fille.

Une rue à son nom

Démobilisé en 1946, Bernard s’installe définitivement en France. Il devient l’un des visages des commémorations du Débarquement, toujours souriant, toujours soucieux de transmettre. Une rue de Saint-Laurent-sur-Mer, la première qu’il a empruntée en 1944, porte désormais son nom. Bernard Dargols est mort en 2019, à l’âge de 98 ans.

Cet article est paru dans le Télépro du 11/12/2025

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