Depuis 70 ans, le pays est secoué par des conflits meurtriers. La pire crise humanitaire mondiale s’y joue dans l’indifférence. Un sujet évoqué ce vendredi à 19h30 sur Arte dans «Le Dessous des cartes».
«Rêver, c’est déjà ça », chante Alain Souchon en 1993. Une chanson qui évoque un rêve de paix dans son pays pour un Soudanais réfugié à Paris. Comme des milliers de ses compatriotes, il fuyait une guerre commencée près de quarante ans plus tôt, en 1956. Trente-deux nouvelles années se sont écoulées. Les rêves ne se sont toujours pas réalisés. Le cauchemar continue.
De l’harmonie au chaos
52 millions d’habitants, grande comme 61 fois la Belgique, la République du Soudan est riche de son passé. La civilisation nubienne est sans doute la plus ancienne et la plus connue en Occident. Née au 4e millénaire avant J.-C., elle conquiert l’Égypte vers – 720. Douze siècles plus tard, son déclin s’amorce.
Bordé par de nombreux voisins pas toujours très stables (l’Égypte au nord, la Libye, le Tchad et la République centrafricaine à l’ouest, l’Éthiopie et l’Érythrée à l’est), le pays du nord-est de l’Afrique connaît une histoire mouvementée. La période coloniale notamment. De 1899 à 1955, le Royaume-Uni et l’Égypte gouvernent conjointement le pays. C’est l’époque du « Condominium anglo-égyptien ». Les Britanniques divisent le Soudan en deux régions distinctes, le Nord et le Sud. Le 1er janvier 1956, le pays amorce un tournant de son histoire : le Soudan est déclaré État indépendant. Les choses ne vont pas être simples.
Les origines
Dès août 1955, de vives tensions existent déjà entre le Nord (à majorité musulmane) et le Sud (à majorité chrétienne et animiste). Elles se concrétisent quand le gouvernement du Nord rompt sa promesse d’accorder un gouvernement fédéral au Sud après l’indépendance. Des officiers sudistes se mutinent. La première guerre civile soudanaise commence. Le conflit dure dix-sept ans et fait entre 500.000 et 1 million de morts. Le 26 février 1972, les représentants du Nord et du Sud signent « les accords d’Addis-Abeba ». Ils mènent à la création de la région autonome du Sud-Soudan et mettent fin à la guerre… pour un temps.
Bis, ter, quater repetita
En 1983, le gouvernement central soudanais annule l’autonomie du Sud et impose la charia (la loi islamique). Nouvelle conflagration. La deuxième guerre civile soudanaise fait deux millions de morts et 4 millions de déplacés. Elle s’achève officiellement en 2005, avec la signature de l’Accord de paix global de Naivasha. En juillet 2011, le territoire sud du Soudan forme un nouvel État : la République du Soudan du Sud. À partir de là, les historiens divergent. Certains appellent « 3e guerre civile » le conflit armé qui apparaît au Darfour (ouest du Soudan) en 2003, causé par des facteurs ethniques et religieux. Un traité de paix y met fin en 2020. 300.000 personnes ont perdu la vie, 2 millions ont été déplacées. D’autres accordent le nom de « 3e guerre civile au Soudan » (et donc 4e pour les premiers…) au conflit armé qui commence en avril 2023.
Guerres oubliées
Cette fois, il s’agit d’une guerre pour le pouvoir entre deux généraux. Elle est toujours en cours. Après un peu plus de deux ans, son bilan est dramatique. Avec plus de 13 millions de personnes déplacées, c’est la pire crise humanitaire du monde selon les Nations unies. Pourtant, « le monde » ne semble guère s’en émouvoir. Les raisons de cette indifférence sont multiples. D’abord, entre le conflit à Gaza, celui en Ukraine et la guerre au Soudan, les médias ont fait leur choix. Quant aux grandes puissances, même si le pays est en passe de s’autodétruire, elles décident de s’engager ailleurs. Autre élément : les tenants et aboutissants sont complexes à comprendre pour le grand public, l’issue est difficile à envisager. « Bien que les conséquences humanitaires soient désastreuses (famine, déplacements, attaques contre des civils), elles peuvent ne pas être perçues comme étant suffisamment nouvelles ou différentes des autres crises », explique la BBC et le Programme alimentaire mondial. Un constat d’impuissance malgré l’urgence. D’après l’ONU, 24 millions d’enfants voient leurs droits gravement violés. Près d’une personne sur trois au Soudan souffre d’insécurité alimentaire aiguë, soit 18 millions de personnes.
Cet article est paru dans le Télépro du 30/10/2025