Art «dégénéré» : les toiles déniées par les nazis

Hitler visitant une exposition d'art «dégénéré» à Dresde en 1935 © Getty Images

L’art «dégénéré» était un projet culturel nazi : détruire impressionnisme, expressionisme, cubisme… Bref l’art moderne en général, au profit de l’art «pur» et héroïque… Un sujet évoqué ce lundi à 20h50 sur Arte dans le film «L’Œuvre sans auteur».

«L’Œuvre sans auteur» (2018), le film de Florian Henckel von Donnersmarck diffusé lundi sur Arte, évoque le parcours d’un peintre allemand, de son enfance sous le nazisme jusqu’à la veille des années 1970. Tout jeune, il assiste à une exposition dénigrant sur l’art «dégénéré», organisée par le Reich.

Art moderne vs art officiel

Le terme d’art «dégénéré» fut adopté par les idéologues du IIIe Reich pour désigner et dénigrer l’art moderne et encenser «l’art officiel». L’art héroïque, seul à être admis et encouragé dans l’Allemagne hitlérienne, est un art racial pur, produit par des artistes aux gènes tout aussi purs. L’art moderne, lui, se perd dans la déformation des corps et des paysages, car ils sont le produit de sous-hommes qui ne pouvaient que signer des œuvres «dégénérées».

Il est donc persécuté en conséquence, au moyen d’une politique culturelle de contrôle systématique, de radiations, d’exils forcés, de déportations, d’autodafés, de confiscations, d’expositions d’art «dégénéré». Ce rejet va frapper les arts plastiques pour s’étendre à la musique, à la littérature et au cinéma, dont Fritz lang et Billy Wilder, entre autres, seront les victimes toutes désignées.

L’expo indigne

De juin à novembre 1937, les nazis mettent sur pied, à Munich, une grande exposition, qui reçoit de deux à trois millions de visiteurs, Entartete Kunst, Art dégénéré. 20.000 œuvres ont été saisies dans les collections des musées allemands. 720 d’entre elles, représentant une centaine d’artistes, sont ainsi exposées à la vindicte populaire.

Kokoschka, Picasso et Chagall figurent en bonne place. Plus insidieuse encore, la confrontation de ces peintures avec des créations de malades mentaux voulait prouver que l’art moderne était issu d’artistes dénués de toutes leurs facultés parce qu’appartenant à des sous-races, comme les juifs.

Artistes, terroristes

Sous chaque œuvre figure aussi le prix auquel elle a été achetée par les institutions publiques, dans le but, bien entendu, de dénigrer la politique culturelle pratiquée avant l’arrivée des nazis au pouvoir. Pire encore, on assimile les artistes à des terroristes qu’il faut bâillonner. Les salles portent des noms on ne peut plus suggestifs – «Idéal : crétin et prostituée», «Insondable saleté»… – comparant les peintres à des gangsters pour lesquels justice doit être rendue.

Le succès de l’exposition est tel que Goebbels, le ministre de la Propagande, va ordonner sa fermeture prématurée devant la trop grande foule incontrôlée qui se presse à l’entrée.

La spoliation

La plupart des œuvres sont ensuite purement et simplement détruites. Mais certaines sont récupérées ou volées, pour employer un terme plus approprié, par des collectionneurs nazis, dont Goebbels en personne. De nombreux artistes partent en exil, notamment aux États-Unis. Parmi ceux qui demeurent en Allemagne, certains adaptent leur production aux exigences du régime. D’autres, plus courageux, pratiquent au grand jour l’art officiel pour se livrer la nuit, bien cachés, à leur œuvre personnelle, bien dissemblable…

21, rue de la Boétie

Certaines des œuvres spoliées, en même temps que des toiles de grands maîtres impressionnistes, réapparaissent au grand jour, en 2012, chez Cornelius Gurlitt, le fils de Hildebrand Gurlitt, l’un des conseillers artistiques de Hitler qui fut, rappelons-le, un peintre amateur bien médiocre.

Une partie de sa collection avait été saisie chez des privés ou des galeristes juifs, dont Paul Rosenberg, installé au 21, rue de la Boétie à Paris, le grand-père de la journaliste française Anne Sinclair. 

Cet article est paru dans le Télépro du 25/8/2022

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