«Soleil vert» : la réalité a rattrapé la fiction

Image extraite du film «Soleil vert» © Isopix

En 1973, sortait ce film futuriste d’abord boudé par la critique pour son ambiance catastrophiste. Aujourd’hui culte, cette fiction parle du monde de 2022. Avec une étrange justesse.

Ce lundi dès 20h50, Arte consacre une soirée à l’œuvre d’anticipation «Soleil vert» («Soylent Green» en V.O.), suivie d’un documentaire où acteurs, cinéastes, sociologues, climatologues se penchent sur les différentes facettes du récit qui dépeint un univers effroyablement proche de notre actualité, avec des préoccupations déjà existantes ou probables à court et moyen termes.

Pollution, fracture sociale et bien pire…

En 1966, l’écrivain Harry Harrison publie le roman dystopique «Soleil vert», porté à l’écran sept ans plus tard par le cinéaste Richard Fleischer («20.000 lieues sous les mers», «Le Voyage fantastique») et récompensé par le Grand Prix du festival d’Avoriaz en 1974. Il décrit le New York de 2022 où surpopulation, surconsommation, industrie à outrance, pollution, catastrophes naturelles et fractures sociales ont fait de la Big Apple un enfer plongé dans une brume brun verdâtre à la chaleur étouffante.

Mis à part de riches privilégiés ayant encore accès à de vrais fruits et légumes, il n’y a plus rien à manger sauf des biscuits synthétiques jaunes, rouges ou verts, appelés Soylent Green (ndlr : soja vert). Ceux-ci contiennent, dit-on, du plancton, du soja et toutes les protéines nécessaires. Ils déclenchent des émeutes à chaque distribution.

Mais l’enquête pour le meurtre d’un des fabricants de ces substituts de repas mène le détective, Frank Thorn, à découvrir un fait encore plus atroce. Ce dernier est incarné par Charlton Heston. Dans les années 1970, les films catastrophe sont à la mode, notamment les histoires post-apocalyptiques. Alors très engagé pour le devenir de l’humanité, l’acteur tourne des fictions «lanceuses d’alertes».

En 1968, il est le héros du mythique «La Planète des singes» où un futur fantasmé montre comment la société s’est autodétruite par ses actions irréfléchies. En 1971, Heston enchaîne avec «Le Survivant» («The Omega Man», lire l’encadré). Les choix de la star se révèlent étonnants. Aujourd’hui, les trois fictions, et particulièrement «Soleil vert», mettent en exergue des soucis contemporains.

Sous-estimé et moqué !

La véritable réussite de ce récit est d’avoir créé un XXIe siècle si probant que l’on n’a pas le sentiment d’être dans de la science-fiction. C’est l’un des premiers longs métrages à employer le mot «effet de serre» ! Il dévoile aussi un quotidien dépourvu des plaisirs les plus simples, la fin de l’abondance avec des manques et restrictions abominables : à la misère sociale avec des SDF entassés dans les rues ou les halls d’immeuble, s’ajoutent les pénuries énergétiques et le rationnement de l’eau, l’absence d’animaux et d’arbres, la rareté du savon ou de la confiture dont un pot se négocie une fortune…

Pourtant, ces questions sociétales et écologiques n’inquiètent guère ni les spectateurs ni certains observateurs de l’époque. La critique du renommé New York Times du 20 avril 1973 est effarante. Le journaliste A.H. Weiler écrit : «Les New-Yorkais ont des problèmes ces jours-ci – graffitis, impôts sur le revenu – mais rien de tel que les horreurs prévues en 2022 comme décrit par « Soylent Green ». (…) Il y a bien sûr toutes les raisons de voir le siècle prochain avec une certaine crainte. (…). Mais c’est un mélodrame simple. (…) Un potentiel de destruction apparemment insensée des ressources de la Terre par l’homme. (…) Une succession déconcertante de citoyens affamés (…). Ce New York du XXIe siècle est parfois effrayant, mais rarement réel de manière convaincante.» Sic…

Toute ressemblance…

Peut-être ce commentateur aurait-il dû analyser la relation entre le jeune Frank (Charlton Heston) et le vieux Sol (Edward G. Robinson). L’ancêtre qui a connu le «monde d’avant», lui apprend à savourer une pomme. Il garde précieusement chez lui une autre rareté, des livres, et se souvient, les yeux humides, de la poésie d’un ciel bleu enchanteur, de vols d’oiseaux et de champs de fleurs. «Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé n’est pas purement fortuite…»  

Cet article est paru dans le Télépro du 6/10/2022

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici