Alain Senderens: créer des plats « pour que le vin soit heureux »

Alain Senderens: créer des plats "pour que le vin soit heureux"
AFP

Alain Senderens, décédé lundi à l’âge de 77 ans, a été l’un des premiers chefs français à s’intéresser de près à l’harmonie des accords entre mets et vins, au point de créer spécifiquement des plats pour que « le vin soit heureux ».

Morceaux choisis d’un entretien avec l’AFP en 2012:

PARTI DE RIEN

A 40 ans, je ne connaissais rien au vin. Je suis allé à l’université, je passais la moitié de la semaine à Bordeaux, ensuite à Dijon. Sur les bancs, il y avait les fils de grands vignerons.

En 1987, on a commencé à proposer un plat associé à un verre de vin. Après, toute la carte. Quand on fait un nouveau plat, on aime partir du vin, on a l’expérience, on a une mémoire gustative pour composer un plat dans la tête.

On travaille à partir d’une palette, comme un peintre. Avec différents poivres, zestes, sels, on peut finir le plat dans l’assiette. Le vin nous parle. On arrive à construire un plat pour une bouteille, jusqu’à ce que le vin soit heureux. Avec les arômes tertiaires de vins un peu vieux, par exemple, truffe et gibiers sont heureux.

DEFRICHEUR D’HARMONIES

Quand j’ai eu mes trois étoiles, en 1978, j’ai rencontré l’oenologue Jacques Puiset, je suis tombé sous le charme de son savoir. On a fait plusieurs déjeuners.

Dans les années 1980, on ne connaissait que le champagne et le bordeaux à Paris. Ca a été un déclic, on a commencé à travailler tous les deux, on a fait des recherches sur les légumes. Une garniture peut rendre un plat exceptionnel ou banal. Mais il y a des légumes qui tuent le vin. On peut les cuisiner pour adoucir ou pour corriger une amertume. Nous sommes chercheurs d’harmonie.

Il en existe dans la complémentarité, dans la rondeur, dans le contraste. Un muscadet avec une huître grasse, ça transperse, c’est sublimissime.

LES IDEES RECUES

Avec le fromage, neuf fois sur dix le vin rouge ne fonctionne pas. Et plus le fromage est gras, plus l’accord est difficile.

Toute généralisation en gastronomie est une preuve de non-compétence, du genre « pour le fois gras, il faut un sauternes ». Le foie gras, il est chaud ou froid?

S’il est froid et que c’est de l’oie, ça peut être effectivement un sauternes. Si c’est du canard, plutôt un jurançon parce que l’acidité n’est pas la même.

DES IDEES D’ACCORDS

Ca peut dépendre d’une garniture. Un gigot haricots, il faut un madiran ou un cahors. Un gigot ratatouille, avec de l’ail et du thym, il faut un bandol.

A Roquefort, j’ai appris des choses. La tradition était de servir ce fromage avec du madiran (vin puissant, très charpenté ndlr), c’est monstrueusement mauvais, ça jure. Je l’ai servi avec un vin liquoreux.

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