Espagne : le tabou de la monarchie se lézarde

Espagne : le tabou de la monarchie se lézarde
AFP

Un livre révélant la « double vie » du roi Juan Carlos avec une aristocrate allemande, l’infante Cristina bientôt sur le banc des accusés, des détails intimes étalés à longueur de pages: la famille royale espagnole n’est plus intouchable.

En à peine 24 heures, la première édition de « Fin de partie », sortie mardi, 25.000 exemplaires, était presque épuisée.

L’ouvrage d’Ana Romero, spécialiste de la famille royale, évoque la « double vie » du monarque de 77 ans qui entretenait une relation de couple « pure et dure » avec l’aristocrate par alliance Corinna zu Sayn-Wittgenstein.

Ana Romero y assure aussi que Juan Carlos aurait souhaité divorcer de la reine Sofia, avec qui « il ne cohabitait plus depuis des années ».

Elle révèle qu’après de longs mois de résistance, trois personnes l’ont finalement convaincu d’abdiquer pour que cesse la dégradation de l’image de couronne: l’ancien chef de gouvernement socialiste Felipe Gonzalez, avec qui il entretient « une relation très étroite », Felix Sanz Roldan, chef des services secrets et « ami », ainsi que Rafael Spottorno, ex-chef des services du roi.

Décrivant un souverain cruellement seul ces dernières années, physiquement affaibli, « assis sur un canapé vide devant la télé », ne recevant que rarement la visite de ses trois enfants, la journaliste livre des informations qui n’auraient jamais été publiées il y a encore cinq ans.

La Maison royale, contactée par l’AFP, n’a pas souhaité s’exprimer.

– Des années d’autocensure –

« Ce n’est pas le roi qui a changé, c’est l’autocensure qui a changé », a lancé lors de la présentation du livre salué par les spécialistes, l’un d’eux, Antonio Montero, célèbre journaliste people.

« Avant, les choses se savaient mais ne se racontaient pas, maintenant elles sortent », dit-il, considérant que le tournant a été pris lors de l' »affaire Urdangarin », du nom du gendre de Juan Carlos, Iñaki, époux de sa seconde fille Cristina.

L’enquête judiciaire a duré quatre ans, pendant lesquels le pays s’enfonçait dans la crise. Au final, elle mènera aussi Cristina de Bourbon, soupçonnée de délits fiscaux, sur le banc des accusés.

La princesse Cristina et la soeur de Juan Carlos, Pilar, le 20 juin 2013 à Madrid

Pour Ana Romero, l’évolution de la presse espagnole s’explique par plusieurs facteurs: l’accumulation de scandales – dont la retentissante partie de chasse à l’éléphant du monarque, révélée peu après ses déclarations selon lesquelles le fort chômage des jeunes « l’empêchait de dormir » – mais aussi l’influence de la presse étrangère, qui ne se pliait pas au « pacte de silence » et plus accessible grâce à internet et l’apparition des réseaux sociaux.

Mais si son livre et d’autres révélations sur la famille peuvent paraître, c’est surtout parce que Juan Carlos n’est plus sur le trône.

Longtemps intouchable pour son rôle réel ou supposé lors de la transition vers la démocratie après quarante ans de dictature franquiste (1939-1975), le monarque intronisé par Francisco Franco en novembre 1975 était devenu pour beaucoup le garant de la stabilité du pays.

Or, « on n’associe évidemment plus la stabilité institutionnelle à Juan Carlos I puisque l’Espagne est restée stable après son abdication » en juin 2014, souligne Ana Romero.

Felipe VI, encore épargné

Interrogée par l’AFP sur d’éventuelles pressions reçues avant la publication de son livre, Ana Romero répond qu’elles lui semblent « naturelles ». L’Espagne est encore une démocratie en construction, dit-elle.

« Nous sommes encore en train de mûrir et il est donc logique que certaines personnes s’inquiètent (encore) de ce que peut révéler ce livre », explique-t-elle.

Les tabous ne sont d’ailleurs pas entièrement tombés, souligne Fernando Cano, journaliste spécialiste des médias.

Le mari de la princesse Cristina Inaki Urdangarin arrive au tribunal à Barcelone, le 16 juillet 2013

« Ce n’est pas le respect envers la monarchie qui a disparu, c’est celui concernant Juan Carlos, sa belle-fille et son fils », la reine Letizia et le roi Felipe VI, « restent intouchables », estime-t-il.

Autre tabou persistant: il n’existe aucune donnée officielle sur le patrimoine de la famille royale et l’origine de la fortune présumée de Juan Carlos.

N’ayant pu avancer comme elle le souhaitait sur ce volet, Ana Romero a invité ses confrères à poursuivre le travail commencé: « Nous devons enquêter », dit-elle.

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