Icônes éternelles : une fascination qui traverse les âges

Austin Butler dans la peau d'Elvis © Isopix

On ne peut détacher son regard de ces stars qui, étrangement, ont quelque chose de plus et de spécial. Voilà qui leur permet de passer au rang d’icônes. Souvent pour la postérité.

Il y a quarante-cinq ans mourait Elvis Presley dont le cœur, malmené par sa consommation d’alcool et de médicaments en tous genres, l’a lâché à 42 ans. L’artiste fut une des premières vedettes à cultiver à la fois la rébellion, un look singulier, une gestuelle totalement inédite et une communication sans précédent avec son public, grâce à ce don mystérieux nommé charisme. Son empreinte est telle que l’icône séduit encore aujourd’hui. Notamment via un biopic qui sort cette semaine. Elvis Presley n’est pas la seule figure dont l’image s’est gravée dans le marbre. Coup de projo sur ces phénomènes qui marquent plusieurs générations.

Préprogrammés pour idolâtrer

Comment des êtres humains, parfaitement sains d’esprit, peuvent-ils être «ensorcelés» à vie par une idole ? Selon le chercheur américain Baruch Fischoff, qui a étudié le culte de la célébrité : «Le besoin de trouver une idole et de la suivre est dans notre ADN. Nous sommes sociologiquement préprogrammés pour suivre un leader. (…) Et dans le monde individualiste actuel, les relations imaginaires avec des célébrités sont peut-être plus faciles à nouer que les vraies.» Certains s’attacheraient à une personnalité pour combler un manque, d’autres pour s’inspirer et devenir davantage créatifs, pour vivre par procuration une existence idéalisée. Ou par identification.

Identification salvatrice

Car toute grande icône a connu de pénibles moments dans son existence. Ceux-ci font d’elle un exemple de résilience. James Dean fut ainsi un rebelle ultra-sensible rejeté par son père. Marilyn Monroe, une âme incomprise, fragile comme de la porcelaine. Audrey Hepburn, fille d’un pro-nazi, une adolescente qui connut la famine durant la guerre et qui dut renoncer à son rêve d’être ballerine. Elvis Presley, un garçon solitaire, moqué et pauvre. David Bowie, un banlieusard bagarreur dont l’étrange regard est le souvenir d’un choc dans l’œil. Freddie Mercury, un immigré d’origine perse, complexé par sa denture ingrate et sa bisexualité. Johnny Hallyday, un gamin abandonné par son paternel à 8 mois. Michael Jackson, un enfant battu par son géniteur.

Leçon de rareté

Mais ces tragédies leur ont donné des singularités terriblement attachantes qu’ils ont su développer au cours de leur carrière. Elles ont fait d’eux des personnages identifiables et séduisants au premier regard. Tous se sont créé une physionomie et une apparence originales, une façon de bouger audacieuse ou innovante, une attitude revendiquée de rebelle, de subversif ou d’ultra-timide retranché derrière ses secrets.

Nés à une époque sans réseaux sociaux, tous ont pu cultiver le mystère et la rareté, armes efficaces pour attiser la curiosité et les attentes des fans. Un jour, Jane Fonda conseilla à Michael Jackson de se montrer le moins possible afin de se faire désirer, David Bowie se cacha souvent derrière des avatars flamboyants. Elvis s’enferma dans sa propriété de Graceland et plus particulièrement dans sa chambre plongée en permanence dans l’obscurité. Audrey Hepburn donna peu d’interviews, etc. Si bien qu’à chaque apparition, tous déclenchaient d’intenses émotions. Émotions décuplées et inconsolables lorsque ces icônes disparurent pour toujours.

L’impossible mort

Lorsque survient le décès de cet «être cher», la nouvelle est souvent impossible à encaisser. L’idole a tant imprégné la vie de ses aficionados qu’elle ne peut pas se dissoudre dans la mort. De nombreux fans prolongent alors sa présence via un culte presque religieux et d’autres refusent tout bonnement de croire à son décès. Parmi les adeptes de réunions pour partager le deuil, les inconditionnels d’Elvis Presley se rassemblent à la date anniversaire de sa mort (16 août), vont en pèlerinage sur sa tombe et organisent une veillée aux bougies. Depuis 2017, la France voit le même phénomène se cristalliser : les fans de Johnny Hallyday se donnent rendez-vous en l’église de la Madeleine – là où eut lieu la messe d’adieu -, deux fois par an : le 15 juin (date d’anniversaire de la star) et le 9 décembre (date de ses funérailles). Tous chantent «Que je t’aime» avec solennité.

Déni et complots

D’autres fans rejettent l’insupportable réalité et se prennent à penser que l’icône est toujours vivante, en échafaudant les hypothèses les plus rocambolesques. Certains admirateurs de Michael Jackson sont persuadés que la star, très douée pour les buzz, mais aussi les jeux de cache-cache avec les médias, a simulé sa disparition afin d’échapper à tous les problèmes qui la rongeaient : banqueroute, accusations de pédophilie, «esclavagisme» de ses producteurs soucieux de faire tourner l’usine à tubes et à fric. D’autres lui attribuent un destin plus tragique, mais plus glorieux : il n’a pas été emporté par son addiction au Propofol, mais aurait été victime d’un complot fomenté par un entourage véreux sachant qu’il rapporterait plus de deniers en étant mort que vivant.

Elvis, agent du FBI…

Elvis Presley a lui aussi droit à des théories ébouriffantes. Pour les sceptiques, il n’est pas mort, mais juste caché. Quant à Gail Brewer Giorgio, fan et auteure de «Is Elvis Alive ?» (Elvis est-il en vie ?), elle assure que le FBI avait engagé le King comme agent pour infiltrer l’organisation criminelle The Fraternity. Démasqué par celle-ci, Presley a été placé dans le programme de protection des témoins et a dû simuler son trépas afin de ne pas être assassiné. Le spécialiste Patrick Lacy tue cette hypothèse dans l’œuf et dit au Time : «Le faire simuler sa mort aurait nécessité le silence et les services de centaines de personnes au fil des ans !»

Symboles immortels

Mais toutes ces croyances font partie de la légende d’une icône digne de ce nom. Et la maintiennent «en vie». Le style qu’elle a laissé participe aussi à son omniprésence. L’éclair glam-rock rouge et bleu peint sur le visage de Bowie trône aujourd’hui sur maintes pièces de merchandising. La robe blanche de Marilyn Monroe soulevée par une bouche d’aération figure sur des posters, mugs et broches. La silhouette de Freddie Mercury, micro dans une main et l’autre levée en poing serré, est repérable entre mille. Audrey Hepburn, bijoux dans le chignon et autour du cou, porte-cigarette dans une main gantée, sourit encore dans les vitrines de Tiffany’s. Ces symboles assurent le rayonnement mâtiné de mystère de toutes ces idoles.

Statut iconique en danger

Aussi, qu’en sera-t-il pour celles d’aujourd’hui et de demain ? Avec la proximité installée par les réseaux sociaux, les stars n’ont plus aucun secret, aucune distance, voire aucune magie. La plateforme Rife Magazine s’interroge : «Ce qui déterminait jadis un statut iconique était la capacité à représenter quelque chose de plus que la célébrité. Mais à notre époque, la notoriété n’est plus un catalyseur de changement, l’idolâtrie est devenue plus matérialiste. Si on supprimait les médias sociaux et les millions de followers de Kim Kardashian, serait-elle toujours célèbre ?» À l’instar de la dématérialisation des disques et films, facilement téléchargeables sur le Web, il ne restera peut-être que du virtuel, du vent. Et du vide. Qui sera alors encore en mesure de le remplir et de nourrir nos rêves ?

Cet article est paru dans le Télépro du 23/06/2022.

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