Ils crèvent l’écran, mais leur cœur est sur scène

Daniel Craig revêtira la cape de «Macbeth» au Lyceum Theatre de Broadway en 2022 © Getty Images

On les applaudit pour leurs performances au cinéma, à la télé ou en concert, sans toujours savoir que certaines brûlent aussi les planches de théâtre.

Tradition oblige outre-Manche, nombre d’acteurs et d’actrices sont aussi des comédiens shakespeariens, tels Benedict Cumberbatch, feu Alan Rickman, Judi Dench ou Ralph Fiennes. Ceci leur vaut souvent d’être anoblis par la Reine. En France et en Belgique, beaucoup d’artistes, dont François Berléand qui privilégierait sans hésiter le théâtre au cinéma, ou Pierre Arditi, sont aussi très attachés aux planches, malgré un trac parfois insoutenable !

Missions possibles

La nouvelle est récemment tombée : la prochaine mission de Daniel Craig, désormais ex-007, ne sera pas d’exécuter des roulés-boulés en costume trois pièces, mais de revêtir la cape de «Macbeth» au Lyceum Theatre (de Broadway) en mars 2022 (les tickets sont déjà en vente). Car l’homme est aussi très à l’aise une fois le rideau rouge levé. Il a, du reste, joué dans «Othello», aussi de Shakespeare, et dans «Trahisons» du non moins éminent Harold Pinter.

Craig n’est pas la seule star de l’écran à tutoyer les feux de la rampe. En 2018, Tom Hanks a enfilé le costume rembourré de Falstaff, un vantard qui adore boire, manger et côtoyer les dames, dans «Henry IV» ! Formé à l’art dramatique, il a été happé par les films, mais a tout de même essayé la scène avec une première pièce, «Lucky Guy», signée Nora Ephron (cinéaste qui l’a fait tourner dans «Nuits blanches à Seattle»), en 2013. «L’éthique de travail est toujours très forte», confie «Forrest Gump». «Et il n’y a aucun ego !»

À fleur de peau

De grandes figures féminines brillent aussi au contact direct du public. Nicole Kidman a joué «The Blue Room» à Londres en 1998, puis «Photograph 51» en 2015. L’actrice était toute chamboulée : «Mon cœur battait la chamade. Quelle montée d’adrénaline ! Monter sur scène peut vous mettre les nerfs à fleur de peau, mais c’est grandiose.»

Emma Stone, quant à elle, a fait son baptême du feu à Broadway dans le mythique «Cabaret» : «J’ai dû beaucoup travailler. C’était fou, excitant et bouleversant. En fin de représentation, je ne ressentais pas de l’épuisement, mais une sorte de délire, l’impression d’halluciner.» Et de préciser : «Jouer cette pièce musicale juste avant d’entamer le tournage de « La La Land » m’a appris à m’investir à fond dans les scènes de chant et de danse.»

Challenges magnifiques

La liste des vedettes de cinéma qui cassent «la baraque théâtrale» est longue : Lily James («Romeo and Juliet»), Hugh Jackman (quatre Tony Awards, «oscars» de la scène, dont un pour «The Boy from Oz»), Daniel Radcliffe (dix pièces dont la très sexy «Equus»), Bruce Willis («Misery»), Jake Gyllenhaal («La petite boutique des horreurs»). Emilia Clark, elle, a délaissé les dragons de «Game of Thrones» pour aborder «La Mouette» de Tchekhov. «Je l’ai vu tel un challenge magnifique, une mise en danger. Je suis si chanceuse d’interpréter cette pièce dont les thèmes, la futilité et la frustration, ont une étonnante résonance moderne !» Quant à Jessica Chastain, après avoir débuté avec «Roméo et Juliette», en 1998, elle a joué dans six autres pièces et accepté une septième : la remarquable «Maison de poupée» d’Ibsen, œuvre figurant au registre «Mémoire du Monde» de l’Unesco. Mais comme pour sa consœur Emilia, la star d’«Interstellar» a vu le spectacle reporté en raison du coronavirus.

Comme une météorite

Ce lourd et inattendu tombé de rideau a attristé la profession, mais a été un test pour mesurer le degré de passion qu’ont spectateurs et artistes pour les spectacles vivants. Kad Merad, metteur en scène et acteur d’«Amis» (d’Amanda Sthers et David Foenkinos) se souvient sur 24matins.fr : «On a été stoppés en plein vol. Ça marchait fort, un gros succès s’annonçait. Quand tout s’est arrêté, c’est comme si une météorite nous était tombée dessus. On a quitté le théâtre en catastrophe, on a laissé le décor… On ne pensait pas que ça durerait aussi longtemps !» Les retrouvailles avec les salles aux balcons ourlés de velours et d’or ont été d’autant plus fortes pour les aficionados. Une pluie de pièces leur est actuellement proposée. Avec de nouveaux venus sous les cintres.

Chargée en émotions

C’est le cas de Vanessa Paradis dont «le trac ne disparaît jamais». À l’affiche de «Maman», écrite et mise en scène par son époux Samuel Benchetrit, l’actrice et chanteuse, entourée de trois partenaires excellentissimes, remplit le théâtre Edouard VII tous les soirs (sauf le lundi, jour de relâche) et, comme Télépro a pu le constater de visu, déclenche une tonitruante standing ovation à l’issue de sa prestation. «C’est une forme d’art qui m’impressionne», a-t-elle confié à Infrarouge.fr. «On ne gère pas son jeu avec la même énergie qu’au cinéma. Tout s’exécute sur le moment. La prestation est plus difficile, le comédien doit raconter une histoire, seul, dans un cadre unique. Il est l’image, le son, la lumière, les textes. (…) À la fin, je suis chargée en émotions. J’ai besoin d’atterrir en douceur. Tenir 1 h 30 sur scène est sportif et intense. Je n’en sors pas intacte.»

Une autre dimension

Matt Pokora gère avec le même sérieux sa toute première aventure théâtrale, «Les Grandes ambitions» (de Philippe Lellouche) et reconnaît sur BFMTV : «Il faut incarner son personnage et ne pas en sortir, même quand tu es en attente. C’est dur. Ça demande beaucoup de concentration.» Quant au Belge Stéphane De Groodt, bientôt au cinéma avec «Tout nous sourit», il poursuit sa tournée avec Valérie Bonneton dans «Qui est Monsieur Schmitt ?» (de Stéphane Thiery) et passera par le Cirque Royal (Bruxelles), le 22 décembre prochain. Il explique à France Info : «C’est une autre dimension, il y a une forme de liberté que j’apprécie énormément. Et le retour immédiat. C’est extraordinaire d’entendre une salle rire !» La scène a cette magie dont le public ne bénéficie pas au cinéma ou au concert : il a le temps d’apprécier le talent des artistes, sans être «gêné» par un rapide montage d’images ou trop de jeux de lumière. Le voilà enfin face à ses icônes préférées, sans filtre. Une expérience d’autant plus jouissive que celles-ci raffolent aussi de ce partage «à nu».

Cet article est paru dans le Télépro du 14/10/2021.

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