Revers judiciaire pour les militants climatiques déguisés en Federer

Les militants écologistes Paul Castelain (centre) and Claire Corbaz (à droite) parlent à la presse devant le tribunal de Renens (Suisse), le 24 septembre 2020 © AFP Fabrice COFFRINI

Leur cas est devenu emblématique de la désobéissance civile climatique: 12 militants suisses qui s’étaient introduits chez Credit Suisse déguisés en Roger Federer, pour dénoncer l’appui de la banque aux énergies fossiles, ont été condamnés en appel jeudi.

La cour d’appel de Renens (ouest de la Suisse), près de Lausanne, a invalidé le retentissant jugement rendu en première instance: en janvier, un juge unique avait relaxé les prévenus au bénéfice de l' »état de nécessité », estimant qu’ils avaient légitimement agi face à l’urgence climatique.

Mais les militants auraient pu utiliser d’autres moyens légaux, notamment politiques, et leur geste n’a pas directement freiné les émissions de gaz à effet de serre, ont balayé en appel les trois magistrats, selon l’agence Keystone-ATS.

Suivant l’avis du parquet, qui avait appelé mardi à « faire du droit, pas des sentiments », la cour d’appel a donc condamné les jeunes militants de Lausanne Action Climat à des amendes de 100 à 150 francs (93 à 140 euros), ainsi qu’à des peines pécuniaires avec sursis.

Le 22 novembre 2018, ils étaient entrés dans une succursale de Credit Suisse à Lausanne pour y disputer un simulacre de partie de tennis, bandeau ou perruque sur la tête, afin d’interpeller Roger Federer sur les investissements de son sponsor dans les énergies fossiles.

– Federer veut « dialoguer » –

Leur campagne #RogerWakeUp (« Roger réveille-toi »), relayée notamment par Greta Thunberg, avait poussé l’icône suisse du tennis à réagir en janvier lors de l’Open d’Australie, pour se dire « reconnaissant auprès des jeunes militants de nous pousser à examiner nos comportements ».

« J’apprécie les rappels sur ma responsabilité en tant que personne, athlète et entrepreneur et je m’engage à utiliser cette position privilégiée pour dialoguer sur des questions importantes avec mes sponsors », avait déclaré le champion.

A la même période, Credit Suisse avait promis de ne plus financer « de nouvelles centrales électriques au charbon » et d' »aligner son portefeuille de crédits sur les objectifs de l’Accord de Paris » sur le climat.

Mais selon la coalition « Roger Wake Up », le deuxième groupe bancaire suisse « demeure l’un des plus gros investisseurs mondiaux dans la recherche de nouvelles réserves d’énergies fossiles, finançant le fracking et le boom du gaz, les bitumineux, l’extraction en Arctique, les multinationales responsables de la déforestation et le pétrole du bassin amazonien ».

« Ce que Roger Federer et Credit Suisse doivent comprendre, c’est que ce ne sont pas les militants qui ruinent leur réputation, mais bel et bien les 74 milliards de dollars que la banque a utilisés pour financer les énergies fossiles », tweetait encore Greenpeace mardi.

– « Décrocheurs » français –

En Suisse, la décision d’appel intervient en pleine semaine d’action pour le climat, et alors que la police a évacué dans la nuit de mardi à mercredi une centaine de manifestants qui occupaient la place du Parlement fédéral à Berne pour réclamer davantage de mesures.

Une autre action visant Credit Suisse a par ailleurs été examinée lundi et mardi par la Cour d’appel de Genève (sud-ouest de la Suisse): en octobre 2018, lors de la première grande Marche pour le climat, une quinzaine de manifestants avaient apposé leurs mains couvertes de peinture rouge sur le siège genevois de la banque.

Citée comme témoin, la climatologue Julia Steinberger a expliqué lors de cette audience qu' »à eux seuls, les investissements de la place financière suisse soutiennent un réchauffement de quatre à six degrés » d’ici la fin du siècle, selon Keystone-ATS.

Mais le débat sur la désobéissance civile climatique, soit l’usage de moyens non-violents mais illégaux, est loin de s’arrêter à la Suisse: il concerne aussi bien les occupations de mines de charbon brun, en Allemagne, que le « décrochage » symbolique de portraits du président Emmanuel Macron en France.

Les « décrocheurs » français ont d’ailleurs mené une bataille judiciaire sur le même fondement de « l’état de nécessité ». Ils n’ont obtenu gain de cause qu’une seule fois, en première instance à Lyon, mais ont été condamnés à Bourg-en-Bresse (centre-est de la France) ou Paris.

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