Sourires, rires et fous rires : à prendre au sérieux !

Qui peut résister au sourire de Julia Roberts ? © Isopix

Agréable façon d’établir un contact social, le sourire rassure. Son grand frère, le rire, est souvent contagieux. Et enfin, il y a le fou rire, impossible à contrôler ! Comment expliquer ces mécanismes ô combien jubilatoires et thérapeutiques ?

Du rire de Julia Roberts, 55 ans, dans «Pretty Woman» (1990) à celui d’ Eddie Murphy, 61 ans, qui a séduit le public dès ses débuts, notamment avec «Le Flic de Beverly Hills» (1984), en passant par le fou rire d’Omar Sy dans «Intouchables» (2011), ou celui, complice, des inoubliables de Funès et Bourvil dans «Le Corniaud» (1965), le cinéma et la télé ne manquent pas de séquences tordantes. Et ça fait un bien… fou ! Analyse de ce phénomène dans la joie et la bonne humeur !

Gradations énigmatiques

Le sourire est le premier pas vers autrui, une invitation à partager un moment de légèreté. «Les déclinaisons du sourire sont innombrables», explique sur Radio France, David Le Breton, anthropologue et sociologue, auteur de «Sourire – Une anthropologie de l’énigmatique» (Éd. Métailié). «Celles qui nous touchent le plus sont celles de l’accueil, cette espèce de don d’un rien, mais sans lequel la vie n’aurait aucun sens. On se sent accepté dans le regard de l’autre, on a l’impression d’avoir sa place dans le monde. Ceci est le sourire le plus élémentaire. Mais il y a aussi les rictus pervers ou ceux des criminels, le sourire de mépris ou d’indifférence.»

Formidablement libérateur

Le sourire serait plutôt conventionnel, alors que le rire, plus inconscient, est plus difficile à cacher ou à réprimer. C’est lui qui nous prend lors d’un repas ou devant un spectacle hilarant et qui nous marque durablement. «Les gens recherchent l’humour dans tous les aspects de leur vie : leur consommation de divertissement, avec leurs amis, leur famille», note Peter McGraw, co-auteur de «The Humor Code» et expert en théorie des décisions émotionnelles. Voilà pourquoi son impact social et psychologique mérite qu’on l’observe de près. Pour Sharon Lockyer, professeur de sociologie au Center for Comedy Studies Research (Londres), «il permet notamment de contester les stéréotypes et les discours dominants qui stigmatisent des individus particuliers». En d’autres termes, on rit d’un «Gendarme» avec de Funès : il remet en cause l’autorité de l’uniforme – qui oserait se moquer d’un vrai flic prêt à nous coller une amende ? Ou on éclate de rire devant le duo François Cluzet-Omar Sy abordant sans complexe le sujet dramatique du handicap.

Pour plus d’ouverture et de tolérance

Selon le neurologue français Jacques Fradin, «le sourire et le rire sont des libérations émotionnelles et, dans les deux cas, un soulagement». Rire nous rend plus flexibles, plus ouverts, plus tolérants. Une blague, un sketch ou un film comique peuvent même nous changer profondément. C’est la théorie d’Alfie Moore. Cet ancien flic devenu comique au Royaume-Uni a pu le vérifier : «Si les gens rient, ils vous écoutent ! On ne m’écoutait pas quand j’étais dans la police. Je n’exerçais aucune influence. Aujourd’hui que j’en suis sorti, c’est le contraire. Et le plus drôle, c’est que des chefs de police m’envoient des courriels de félicitations !»

Le rire est notre personnalité

C’est aussi un plaisir d’écouter les différents types de rire, aussi variés que des dialectes ou les accents. Dans «Mary Poppins » (1964), lorsque l’héroïne va voir le très gai oncle Albert, leur chanson «C’est bon de rire» le décrit parfaitement : «De nombreuses personnes rient du nez. (…) De nombreuses personnes rient les dents trop serrées. Et sifflent comme fait un aspi. D’autres vont trop vite. Comme d’autres éclatent. D’autres comme des oiseaux, gazouillent !»… Judi James, spécialiste britannique du langage corporel, remarque qu’à travers le rire «on peut souvent reconnaître une personnalité, un comportement. La respiration sifflante d’un rire réprimé traduit une maîtrise de soi intense, des rires saccadés de la nervosité ou de la timidité ! La plupart des rires sont une courte explosion harmonique («Ah !») d’un quinzième de seconde, qui se répète tous les cinquièmes de seconde. Ce rire authentique émerge spontanément, nous embarrasse parfois, car il sonne fort, implique des bruits de reniflements et une ouverture très large de la bouche. Les enfants produisent la forme de rire la plus spontanée, car ils n’ont pas les inhibitions que nous acquérons plus tard. Les adultes se couvrent souvent la bouche ou se penchent pour cacher leur visage.»

Contagieux et excellent pour la santé !

Mais dans tous les cas, cette explosion de joie s’avère contagieuse. Les comédiens connaissent bien ce phénomène : sur un tournage ou une scène de théâtre, difficile de garder son sérieux quand un autre artiste pouffe ou que le public hoquète. Henri Salvador (1917-2008) s’en est servi pour proposer un sketch unique dans lequel il a enregistré son propre rire tonitruant, qui l’influence lui-même ainsi que les spectateurs ! Car tout rire active les neurones miroirs de notre cerveau. Ce sont eux qui nous aident à comprendre les autres. Lorsque le fou rire est là, plus on essaie de le contenir, plus il gagne en force et devient incontrôlable. Comme un éternuement, mieux vaut ne pas tenter de le retenir. «Le rire est un réflexe», note le Dr Henri Rubinstein, neurologue, sur actu.fr. «Et comme pour tout réflexe, le réprimer est très difficile. À partir du moment où il est déclenché, il va produire des phénomènes respiratoires, musculaires et cérébraux qui ont un impact sur le corps. La respiration se modifie, on va échanger 2,5 litres d’air au lieu de 0,5 litre, donc on va mieux oxygéner l’organisme, diminuer les toxines, favoriser les défenses immunitaires et l’élimination du cholestérol. Cette gymnastique sera suivie d’une relaxation, les muscles vont se dilater, ce qui fera baisser la tension artérielle, ralentir le cœur, donc le fortifiera, et ça va masser les intestins.»

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Irrépressible

Tant mieux ! Car il fut un temps où perdre son self-control en public était mal vu. Speakerine emblématique, Denise Fabre l’a appris à ses dépens en mai 1979. Elle annonce alors les programmes du lendemain matin, dont la retransmission d’une messe en direct de la ville de Gruyère en Suisse et éclate de rire ! Cette spontanéité lui vaut une mise à pied de trois semaines ! Elle dira plus tard : «Je recevais des notes de service disant : « Voulez-vous expliquer la raison de votre fou rire à telle heure ? Comment voulez-vous le justifier ? Ce n’est pas possible ! »»

«Humorisme» contemporain

Étonnamment, on fait face aujourd’hui à la «tyrannie du bonheur», principalement sur les réseaux sociaux où grimaces et rictus sont de mise. Mais combien sont sincères ? Certaines stars, dont Kristen Stewart, Victoria Beckham et Rihanna, ont d’ailleurs décidé de faire la tête, quitte à être taxées de pét… mal lunées, pour protester contre cette «mode». L’anthropologue David Le Breton conclut : «J’ai l’impression qu’avant, on souriait plus, avec davantage de jubilation d’être au monde, d’être ensemble, dans un sentiment de connivence, de complicité. Je vois dans le sourire d’aujourd’hui davantage une convention, une mondanité, une obligation. Il y a un «humorisme» obligatoire. J’ai l’impression que le sourire était plus franc, plus paisible il y a quelques décennies.» Qu’est-ce qu’on a attend pour le retrouver en faisant urgemment fi de tous les faits ou les dires rabat-joie ?

Cet article est paru dans le Télépro du 3/11/2022.

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