1942, l’année charnière

Des civils de tous bords, âges, milieux sociaux et continents racontent l’année 1942, moment charnière où la guerre devient mondiale. © Arte/Agat Films

Pour que le spectateur puisse s’identifier à ceux qui vécurent cette année charnière de la Seconde Guerre mondiale, Véronique Lagoarde-Ségot, coréalisatrice avec Marc Ball de «1942» (ce mardi à 20h55 sur Arte), explique les ambitions de cette série racontée à hauteur d’hommes, de femmes et d’enfants, issus de tous les continents.

Véronique Lagoarde-Ségot, pourquoi vous êtes-vous lancée dans un tel projet ?

Souvent, pour dire la guerre, on s’applique à traiter l’histoire d’un point de vue politique et militaire. On vise la construction des savoirs au détriment des émotions. J’ai voulu raconter l’histoire autrement, donner un regard neuf, loin du mythe du mâle alpha et du fétichisme des combats. Je voulais faire vivre le quotidien du désastre, afin que les spectateurs puissent s’identifier à ceux qui ont vécu l’année 1942. Nous sommes tous les acteurs de l’histoire. En mettant à distance les événements, on en perd la responsabilité. C’est sans doute un regard féminin sur la guerre.

Pour quelle raison avez-vous choisi d’ouvrir la série avec les confidences d’une jeune mère de famille allemande ?

Quand on nous enseigne l’histoire, on nous apprend qui est «l’autre», l’ennemi, la figure du mal… Je voulais briser cette altérité. Lily est une nazie «ordinaire», imprégnée de la politique ambiante, mais alors que la guerre fait rage, elle reste une femme comme les autres, avec ses problèmes domestiques et sexuels. Au fond, que l’on soit allemand, chinois, argentin, français…, on aspire tous à la même chose : vivre, être heureux. Ce film veut rendre aux hommes leur caractère universel.

Vous livrez également de nombreux témoignages d’enfants. Pourquoi ?

Rien n’est plus fort que de faire dire la cruauté et l’injustice par le regard de l’innocence. Tous les humains sont plongés de manière brutale dans le conflit, mais les enfants, eux, subissent plus que quiconque les événements. Les adultes peuvent porter la culpabilité de leurs choix, mais les plus jeunes sont «vierges», sans construction politique. Leur donner la parole permet de montrer à quel point la guerre est une tragédie absolue.

Les récits que vous réunissez sont-ils romancés ?

Non, rien n’est inventé ! Pendant plusieurs mois, avec Marc Ball et notre assistant réalisateur, Tristan Benoit, nous sommes partis en quête de personnages, en explorant une multitude de témoignages : journaux intimes, autobiographies, interviews, lettres… Pour nous, il était primordial de respecter l’histoire de ces gens, de rester fidèles à ce qu’ils avaient vécu.

Comment avez-vous choisi d’illustrer cette série ?

L’idée était de choisir les images dans des films amateurs pour rester au plus près du vécu et se détacher de la propagande. Il fallait qu’elles s’accordent aux mots, que les personnages existent, que leur histoire se déroule sous nos yeux. Quand ce n’était pas possible, nous avons eu recours à l’animation. À cet égard, Sophie Racine a réalisé un travail exceptionnel. J’ai opté pour le langage poétique de l’image afin de faire naître des émotions. Je tenais à ce que cette série, comme la guerre, se vive, se ressente, s’éprouve.

Pourquoi avoir choisi la comédienne Anna Mouglalis pour la voix off ?

Anna est la voix de chacun de mes films. Elle a une grande finesse d’esprit : elle comprend les textes, se les approprie et les porte comme s’ils étaient siens. Sa voix atypique, grave et sensuelle, apporte une ambiguïté qui place le commentaire à la fois dans sa vérité brute et dans une douceur extrême. 

Entretien : Raphaël Badache

Cet article est paru dans le Télépro du 23/2/2023

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