«Déjà s’envole la fleur maigre» : Borinage, charbonnage, chômage

Extrait du film de Paul Meyer © Capture écran RTBF

Un film censuré en 1960 refait surface. Il montre la vraie vie des ouvriers italiens du Borinage.

C’est une véritable pépite que «Retour aux sources» vous invite à découvrir ce samedi à 21h45. Un film belge de 1960, tombé aux oubliettes, et récemment restauré par la Cinémathèque.

«Déjà s’envole la fleur maigre» raconte l’histoire d’une famille italienne en quête d’une vie meilleure. Speranza et ses enfants viennent rejoindre Pietro, leur mari et père, déjà mineur dans le Borinage. Dans le même temps, un autre mineur se dit que Borinage et charbonnage riment avec chômage. Il rêve de rentrer chez lui. «Mais chez soi ? Où est-ce ?», se demande-t-il à la fin du film… Scandale !

La fin de l’enthousiasme

Au départ, ce film est une commande du ministère de l’Instruction publique. Objectif : montrer l’intégration réussie des enfants d’immigrés. Le projet est confié à Paul Meyer, un cinéaste wallon qui ne cache pas ses sympathies communistes. Son premier film, «La Briqueterie», sorti en 1955, racontait le premier jour de travail d’une jeune fille dans une briqueterie dont le patron s’arrogeait un droit de cuissage sur les ouvrières.

Quatre ans plus tard, lorsqu’il débarque dans le Borinage pour filmer les écoliers, Meyer n’a rien perdu de son regard critique. «Après plusieurs jours de tournage», explique-t-il dans une interview donnée plus tard, «je me suis aperçu que ce travail reposait sur l’idée préconçue que ces enfants ne connaissaient pas de problèmes d’adaptation. Or moi, je constatais tout le contraire.»

Il faut dire que l’eau a coulé dans la mine depuis l’arrivée des premiers Italiens en 1946. L’enthousiasme des débuts a fait place au désabusement. Plus encore depuis la catastrophe du Bois du Cazier, qui a fait 262 morts en août 1956.

Baraquements de fortune

Peu à peu, Meyer dévie donc de la commande du ministère. Le court métrage documentaire devient un long métrage mêlant réel et fiction. Le cinéaste travaille avec des gens du Borinage qui jouent leur propre rôle. Il leur donne le canevas de chaque scène, mais leur laisse totale liberté pour les dialogues. Chacun se comporte donc naturellement.

Au final, on découvre les conditions de vie réelles des immigrés. Les enfants sont effectivement pris en charge par un instituteur bienveillant qui leur apprend le français. Ils jouent au grand air sur les terrils. Tandis que, le dimanche, les parents dansent sur des airs du pays… Mais tout cela est empreint d’une terrible nostalgie. D’autant que ces familles vivent dans des baraquements de fortune, sans réelles perspectives d’avenir. Ce n’est pas ce dont elles avaient rêvé. Ce n’est pas non plus ce que le ministère voulait montrer !

Détournement de fonds

Le film de Paul Meyer est accueilli par une excellente critique, notamment des très influents Cahiers du Cinéma. Il est aussi plusieurs fois primé. Mais les autorités belges s’étranglent. D’autant que le climat social est tendu – ce sera bientôt la grande grève de l’hiver 1960. La diffusion du film est donc rapidement interdite.

Pire : Paul Meyer n’ayant pas respecté la commande, il est accusé de détournement de fonds publics. Il tentera de rembourser jusqu’à la fin de sa vie, en 2007. Maigre consolation : le film, ressorti à Paris en 1994, fera à nouveau l’unanimité des critiques. Le Monde compare Meyer à Rossellini et Visconti, Télérama y voit un précurseur de Ken Loach, Libération estime que ce film occupe «une place de tout premier rang dans l’histoire du cinéma européen de l’après-guerre».

Cet article est paru dans le Télépro du 3/6//2021

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