Travail à la demande : boum de l’emploi… précaire !

Extrait du documentaire «Travail à la demande» © Arte/Point du jour

En marge de deux documentaires sur le travail diffusés mardi sur Arte – «Travail à la demande» (20h50) et «Vive le le travail» (22h20), la sociologue Sarah Abdelnour analyse un modèle économique reposant sur la fragilité croissante des moins qualifiés.

Les documentaires d’Arte sont inquiétants. La précarité de l’emploi devient-elle la norme plutôt que l’exception ?

Dans les pays occidentaux, le salariat, majoritairement en CDI, reste dominant. En France, il concerne encore 88 % des emplois (ndlr : 9 salariés sur 10 en Belgique). Mais la dynamique s’est inversée : désormais, la majorité des embauches se font en CDD. Cette érosion lente, mais continue, de l’emploi stable, affecte d’abord les jeunes mais surtout les moins diplômés.

L’essor des plateformes numériques (Uber, Deliveroo…), qui s’appuient sur le travail précaire, a-t-il accéléré cette évolution ?

Ces plateformes ont amplifié et systématisé le modèle de l’auto-entrepreneuriat, en réalité rarement «indépendant». En effet, sans protection sociale, contraints de financer leur outil de travail, les travailleurs sont assujettis à l’entreprise par un contrôle permanent. Leur seule marge d’autonomie réside dans le choix des horaires, mais leur faible rémunération les oblige à accumuler les heures pour espérer gagner l’équivalent du salaire minimum. Et la crise sanitaire n’a rien arrangé…

Les récentes décisions de justice sanctionnant ces plateformes peuvent-elles changer la donne ?

De plus en plus de tribunaux européens se prononcent pour la requalification des contrats vers le salariat. Uber a ainsi annoncé que ses chauffeurs au Royaume-Uni bénéficieraient du statut intermédiaire de «workers», qui donne accès à une protection partielle. En Espagne, ces livreurs seront désormais «présumés» salariés. En France, la Cour de cassation a rendu en 2018 et 2020 des arrêts requalifiant vers le salariat au sens plein. S’il ne s’agit que de cas individuels, ils font jurisprudence. Toujours en France, l’inspection du travail et les services de protection sociale déposent désormais au pénal des plaintes contre les plateformes pour travail dissimulé. Elles pourraient donner lieu à des condamnations plus sévères et plus collectives.

Ces travailleurs dépendants de leur activité pour vivre ont-ils d’autres moyens d’action que d’aller en justice ?

Face à un capitalisme internationalisé, les luttes du travail peinent à se fédérer, notamment au niveau européen. Partout, en nombre de jours de grève, les conflits du travail ont reculé depuis les années 1960. Mais on constate qu’ils n’ont pas disparu et prennent de nouvelles formes. Les jeunes ont tendance à rejeter une certaine image du syndicalisme, mais ils le réinventent à leur manière et poursuivent l’histoire des luttes sociales. 

Entretien : Irène BERELOWITCH

Cet article est paru dans le Télépro du 22/4/2021

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