Ces femmes qui embrassent des carrières jusque-là bien masculines

En Belgique, selon la Febetra, le transport routier génère 112.000 emplois. En 2021, les femmes ne représentaient que 1.66% des chauffeurs poids lourds... © Homayoun FIAMOR/6TER

La parité dans les professions, quelles qu’elles soient, est encore loin d’exister. Dans de nombreux domaines, les femmes sont encore des «exceptions». Tentative d’explication…

Conduire un camion, piloter un avion ou diriger un orchestre sont autant de vocations variées qui restent l’apanage des messieurs. Les causes sont aussi diverses que mystérieuses ou injustifiées.

Quel cinéma !

Dans ce registre ouvert à tous, le peu de réalisatrices reste quasi inexplicable. Une enquête de 2018 montre qu’aux États-Unis, berceau d’Hollywood et de nombreuses audaces et innovations, il n’y a que 8 % de femmes cinéastes ayant travaillé sur les 250 films américains les plus rentables. Et si on se réfère aux cent fictions hollywoodiennes les plus triomphantes, le chiffre chute à 4 %. La BBC note qu’au cours de 90 années d’Oscars, seules six femmes ont été nommées pour la statuette de meilleur «Director» et seules deux l’ont décrochée : Kathryn Bigelow en 2010 pour «Démineurs» et Chloé Zhao pour «Nomadland» en 2021 ! Heather Rabbatts, présidente de Time’s Up UK, groupe fondé en 2018 par certaines des actrices les plus en vue, en réponse au mouvement #MeToo, avance deux hypothèses : «D’abord, les gens ont tendance à recruter à leur image : la majorité des administrateurs sont mâles et embauchent donc des hommes. Ensuite, la réalisation cinématographique n’a pas été un créneau où les femmes ont vu beaucoup de modèles féminins. Les jeunes filles ne prennent peut-être pas encore conscience que réaliser un film est une option pour elles.»

Préjugés trop ancrés

Le manque d’exemples et de figures inspirantes serait donc l’une des explications. Mener tout un microcosme – que ce soit une entreprise, une association, etc. – à la baguette reste, dans les esprits, une affaire d’hommes. Et il n’y a pas meilleure illustration que l’univers de la musique où compositrices et cheffes d’orchestre ont bien du mal à sortir de l’ombre. Depuis ce 10 juin, et pour un mois, le nouveau festival «Un temps pour Elles» exhume, dans six villes françaises, des œuvres de femmes étrangement tombées dans l’oubli (Charlotte Sohy, Hedwige Chrétien, Rita Strohl) ! L’organisatrice, la violoncelliste Héloïse Luzzati, constate sur France Info Culture : «On est beaucoup à avoir été abîmées par l’énorme sexisme du monde musical et de l’enseignement. Globalement, il y a plus de pédagogues hommes. Au CNSM de Paris, par exemple, il n’y a jamais eu de femme professeur de violoncelle. Encore récemment, j’ai entendu un professeur dire que les dames ne jouent techniquement pas très bien de cet instrument. Ce sont des choses qui sont trop ancrées…»

L’Orchestre philharmonique de Vienne n’a ainsi nommé sa première cheffe qu’en 1997 car jusque-là, les filles étaient interdites de podium !

Autorité et confort sociétal

La cheffe d’orchestre new-yorkaise Marin Alsop a été la première à diriger, en 2013, «Last Night of the Proms», plus grande soirée de l’année en Grande-Bretagne, après 118 ans de «domination» masculine. Elle s’interroge sur la BBC : «Je ne sais pas si je pourrais appeler cela un préjugé, je l’interprète comme un manque de confort sociétal. Ce n’est pas ce à quoi les gens sont accoutumés… Écoutez, je l’avoue, quand je vois des femmes piloter des avions, même moi j’hésite car ce n’est pas ce à quoi je suis habituée ! Chef d’orchestre, c’est aussi symboliquement la position d’autorité par excellence qui est plus difficile pour l’orgueil masculin de céder à des femmes, obligées durant des siècles d’incarner douceur, rondeur et soumission !»

La chercheuse Hyacinthe Ravet souligne dans 20 Minutes qu’il y a eu des femmes tenant une baguette dès le XIXe siècle : «Mais c’était des figures d’exception. Ce climat d’exception a perduré au XXe siècle et continue aujourd’hui…» Marin Alsop conclut : «Nous avons donc besoin de modèles. Plus il y en a, mieux c’est !»

Lexie : «Plus qu’un métier, une passion !»

Alexia, alias Lexie, 21 ans, a choisi d’être conductrice de camion, métier encore rare chez les femmes. Elle est une des «Reines de la route» (RTL-TVI) qui aiment leur carrière plus que tout.

À quel âge avez-vous décidé d’embrasser cette profession ?

À 16 ans ! Et j’ai commencé la formation pour le permis à 17 ans. Mais l’univers de la route me fascine depuis toute petite, sans doute grâce à mon père qui a été chauffeur routier. Je l’ai souvent accompagné. Nous avons une foule de bons souvenirs, mais j’étais alors loin de m’imaginer que ce métier pouvait aussi s’adresser aux femmes ! Je voulais être conductrice de bus jusqu’à ce qu’un professeur m’encourage à essayer les poids lourds.

Depuis lors, que ce soit durant votre formation et ensuite, vous n’avez pas croisé beaucoup de filles…

Oh, j’étais la seule femme dans l’entreprise où j’ai fait mon apprentissage ! Bien sûr, il y a des préjugés, des réflexions. Certaines personnes, des clients, des gens sur la route ou des entrepreneurs trouvent mon choix super et d’autres font plus de remarques négatives. Il faut s’y habituer. Le sexisme ne m’atteint pas, j’ai un caractère bien trempé. Personnellement, ça me passe au-dessus la tête, tout ce qui compte c’est moi et mon camion !

Quelles qualités s’avèrent nécessaires ?

Il faut avoir un bon esprit de logique, un bon sens de l’orientation, ne jamais se laisser abattre et avoir énormément de patience au volant, surtout en ville, avec les vélos et les trottinettes ! Et sur autoroute, il s’agit de gérer la pression car les délais de livraison sont exigeants.

Comment vous sentez-vous au volant ?

Puissante, invincible ! Dans le camion, je me sens chez moi, je suis en symbiose totale avec lui. Nous sommes des amis, des compagnons de route. Il me voit dans mes moments de joie et de découragement, il ne me déçoit jamais, répond toujours présent, ne me laisse pas tomber. Quelques fois, je lui parle ! C’est beaucoup plus facile que de vivre avec un homme !

À quoi ressemble l’une de vos journées de travail ?

Les horaires sont très variés, quelle que soit la saison, ils peuvent commencer très tôt ou seulement en fin de matinée. Mais j’ai toujours des journées de 12 à 15 heures. Je charge et décharge moi-même des containers mobiles. C’est un métier où on ne doit pas compter ses heures ni espérer avoir des loisirs. C’est très physique, mais pas sportif, il faut avoir une bonne hygiène de vie. Quand on a le ventre qui se rapproche du volant, c’est la limite !

Est-il possible de se faire des amis dans le métier ?

C’est un univers très solidaire où l’on peut tous compter les uns sur les autres. Par contre, se faire des potes demande du temps et on n’a pas toujours le loisir de discuter longtemps. On se croise, on discute dix minutes puis il faut repartir. Parfois, on échange des numéros de téléphone. Cependant, garder un contact régulier est entravé par les exigences et horaires du métier. On rencontre beaucoup de gens intéressants, mais on mène une vie à cent à l’heure. Il y a de plus en plus de filles dans le métier, j’en suis ravie, mais ce n’est pas encore assez !

Êtes-vous contactée par des jeunes femmes qui veulent exercer la profession ?

Oui. Je les conseille sur les réseaux sociaux, tous les jours. Il y a des tas de questions. Certaines sont hésitantes et inquiètes. Je les soutiens, je les sensibilise aux bons côtés, les rassure en disant qu’elles ne sont pas obligées d’accepter des horaires où l’on s’absente une semaine. J’ai moi aussi quelques angoisses, comme celle de me retrouver coincée dans une petite rue sans que personne ne puisse m’aider…

Lorsque vous dormez dans votre camion, avez-vous l’esprit tranquille ?

La première fois, je suis tombée sur un véhicule dont les portes ne se fermaient pas ! Il y avait un bug, pas moyen de verrouiller mon engin ! J’ai beaucoup pleuré. Depuis, je vérifie toujours que mon camion n’a pas de problème de fermeture. Bien sûr, il existe toujours un petit risque d’être la cible d’un rôdeur qui cherche à dérober la marchandise ou ouvrir le réservoir pour voler du carburant, etc. Mais cela peut arriver aux hommes comme aux femmes.

Et si un jour, vous vous mariez et avez des enfants ?

Je crois que j’aurais envie de prendre tout le monde avec moi ! Ce n’est pas facile d’avoir quelqu’un à la maison qui vous attend. Ce serait bien d’avoir un compagnon qui partagerait ma passion et des enfants qui seraient à nos côtés !

Cet article est paru dans le Télépro du 16/06/2022

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